Florence Malraux par Martine de Rabaudy
Dans Electrochocs, l’auteure raconta sa vie avec une mère maniaco-dépressive en un témoignage sidérant. L’ancienne journaliste de Paris Match, Elle et L’Express relatait ces douloureuses décennies de compagnonnage entre la peur et le déchirement. A 10 ans, elle est écartée du foyer familial — sa mère ayant tenté de l’étrangler. L’exil la sauve avant que la honte ne surgisse. Elle est soulagée par la compagnie du grand-père, fort en gueule et lecteur impénitent qui la pousse vers l’écriture.
Pour survivre à l’invivable, Martine de Rabaudy dut user des mots les plus durs, faute d’avoir su, comme son frère, partir. Elle dévoua néanmoins sa vie à sa mère et à son père, passant, pour tenir et faire bonne figure, des années en analyses et à la lecture des grands malades : Althusser, Virginia Woolf, Sylvia Plath, Jim Harrison. Ecrire fut pour elle autant une libération qu’une catharsis.
A l’absente est une sorte de suite distanciée à ce qu’elle a connu. L’auteure évoque Florence Malraux à travers les mois qui ont suivi l’annonce de sa maladie de Charcot jusqu’à sa mort en octobre 2018. Elle crée un portait plus qu’attachant de cette femme passionnée qui connut les affres de la guerre puis tenta de “tenir” face à une mère excessive et à un monument de père complexe (André Malraux).
Elle accompagna intellectuels et artistes tout au long de sa vie. Elle se tourna vers le cinéma, fut l’assistante de François Truffaut sur Jules et Jim avant d’être celle d’Alain Resnais pour la plupart de ses films et auquel elle resta mariée un vingtaine d’années.
Martine de Rabaudy entre en symbiose avec une histoire qui se mêle à la sienne. Florence Malraux, trop généreuse, y apparaît victime d’elle-même et des autres par trop de générosité. Le livre ressemble à une dérive et un acte d’amour ou de compréhension. La vie y est moins un songe qu’un cauchemar. Le frémissement d’une existence qui se perd engendre une poésie particulière : elle accompagne le chemin vers la mort.
C’est aussi poignant que juste en ce crépuscule. Il va offrir un sommeil où la lune est le dernier songe confus qui pousse à la voûte du ciel. L’auteure y montre une nouvelle fois que le vrai sacrifice consiste non pas à mourir mais à vivre pour quelqu’un là où ce n’est pas la lumière qu’on voit dans l’obscurité mais l’obscurité qu’on voit dans la lumière.
L’auteure l’illustre en préservant de petits rien pour qu’ils ne fassent plus défaut à travers cette étrangère qui lui ressemble.
jean-paul gavard-perret
Martine de Rabaudy, À l’Absente, Gallimard, Hors série Litterature, 2019 (parution le 14 avril).