Alain Crozier, Nuit marine

Amour, où est ta victoire ?

Il existe chez Cro­zier une évi­dente parenté bau­de­lai­rienne quant aux rap­ports que les deux poètes entre­tiennent avec la femme. Chez l’auteur des Fleurs du mal, le che­min de l’une à l’autre (lui-même) est plus court que chez l’auteur de Nuit marine. Il se fait autant “plaie et cou­teau” que celle dont il rêve. Tel un bédouin, il appré­cie­rait avant tout son propre désert s’il n’existait pas le désir de la femme.
Si bien que le poète entre­tient avec elle comme avec lui-même des arran­ge­ments noc­turnes afin de traî­ner seul telle une vic­time de lui-même (l’héautotimorouménos bau­de­lai­rien) dans le noir.

Sa reli­gion de l’amour ne fait pas de lui un saint et tout rap­port est consti­tué chez lui de moments man­qués. La femme devient l’unique objet mais aussi une fin de non rece­voir sinon à “la retrou­ver dans mon rêve”. Pris dans l’étau de sa psy­ché, il faut que tout amour soit sui­ci­daire ou reporté de la réa­lité à la rêve­rie afin qu’une forme d’absolu fan­tasme soit entre­tenu.
Toute réa­li­sa­tion le fait capo­ter dans ce qui devient — chose faite -  une fin de non rece­voir même si elle ne se dit pas comme telle et où la femme tend à en sup­por­ter la charge.

Crozier reste néan­moins l’inverse d’un Don Juan. Certes, comme lui, il déguste sans assou­vir sa faim. Mais celle-ci n’est pas de même nature que pour le héros pour­fen­deur de la sta­tue du Com­man­deur. D’autant que chez l’auteur, cette der­nière n’est plus non celle d’un “père” mais de la femme. Il se peut bien qu’en une telle pos­ture du poète le père l’ait aban­donné et lui fasse perdre ses repères.
En tout état de cause, dans l’amour, même en mul­ti­pliant les tra­vaux d’approches seg­men­tés ici en quatre temps, femme et homme deviennent des inéga­li­tés démon­trables et entre­te­nues comme telles.

L’athée de l’amour  ne conteste pas la divi­nité de ses prê­tresses mais ne peut les accep­ter en consé­quence que divi­ne­ment. Sa des­ti­née amou­reuse est donc reto­quée sans cesse par lui même, mi-ange déchu et mi-satrape ter­restre. Entraîné sans cesse sur la seule voie pos­sible (celle de la per­di­tion), Cro­zier fait de la femme rêvée  le pot-de-vin de celui qui en reste l’apôtre en rien apos­tat. Et pour preuve, sa Revue Caba­ret mul­ti­plie le lit des femmes.
D’une cer­taine manière, incom­pré­hen­sible de tous et de lui-même, effleu­rant la peau intime de l’aimée mais refu­sant — sinon de manière pro­vi­soire — de la tirer de son temple, il s’en fait le jouet souf­frant sans doute pour en jouir de manière para­doxa­le­ment délectable.

Il est autant pri­son­nier des actes espé­rés qui l’effraient que de mau­vaises actions qu’il ché­rit pour récu­pé­rer une céleste manne. Existent autant du désir que de la peur, du res­pect que de la dérai­son là où l’esprit et le corps du poète s’élargissent apo­ca­lyp­ti­que­ment dans l’aire du crime d’amour. Cro­zier en est autant le fomen­teur que la vic­time lucide.

lire notre entre­tien avec l’auteur

jean-paul gavard-perret

Alain Cro­zier, Nuit marine, Jacques André édi­teur, Lyon, coll. Poé­sie XXI,  2019, 86 p. — 12,00 €.
Revue Caba­ret, n° 29 Edi­tions Le Petit Rameur, 71800 La Clayette.

1 Comment

Filed under Erotisme, Poésie

One Response to Alain Crozier, Nuit marine

  1. Mississipi

    !!! d’un désert à l’autre, là où l’on trouve des pierres fos­siles aux pou­voirs magiques

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