Emanuel Campo fait du poème minute son sport de combat, sa religion (athée) afin de détruire la bêtise et se perdre dans la folie à la base de toute connaissance de soi et des autres comme de toute communication interpersonnelle dont il fait son métier afin de gagner sa vie. Le poète partage avec ses potes ses doutes, ses peur et ses pâtes. Preuve que se battre pour manger est une nécessité vitale : il est aussi important de battre le briquet pendant qu’il est chaud afin de manger cuites les Lustucru.
Ici, sur l’étal de la poésie, l’auteur nous livre des morceaux de son journal intime par fragments, sauts et mésaventures. Il ne cherche ni la bravoure, ni la pose. Mais plutôt le zéro de conduite. Figurant dans un film, il est obligé de s’étendre au pied d’un arbre où il venait d’uriner. Déceptif, préférant au kebab un buffet volonté, il ne peut que constater les éternuements répétés d’une vieille dame sur la boustifaille.
La vie est donc saisie au ras du réel non dans un musée de cire mais de circonstances. Quitte parfois à les minuter seconde par seconde lors d’une lecture publique d’un de ses textes (écrit, avoue-t-il, en plagiant Ghérasim Lucas — mais c’est sans doute moins véridique que pour faire un mot d’esprit à son corps dépendant).
Campo prouve que l’existence est rarement du Shakespeare sauf lorsque l’Anglais dérive dans ses facéties. Mais le poète lyonnais est ici ce qu’il est dans la vie dite active : bateleur que “les metteurs en scènes fascinent” car “ils invitent les publics à réfléchir avec eux”. Ce qui semble pour le moins outrancier sauf à vivre toute l’années les 15 premiers jours de Juillet en Avignon. Du moins à ce qu’on dit, le lecteur de ces lignes n’y foutant jamais les pieds.
Mais l’auteur peut largement prendre son cas pour une généralité comme par exemple lorsqu’il parle “du métier” sans avoir forcément expliciter lequel ou lorsque son corps (j’entends à l’intérieur) est analysé sans parcimonie. Il s’agit alors d’en souligner les avanies et framboises là où ça se bouche, suinte, miaule, sue, gonfle, gicle, jaillit et j’en passe.
Mais quoi de plus roboratif. D’autant que choisir d’être publié “sur le billot” (titre de la collection) de la Boucherie Littéraire demande nécessairement de la tripe. L’auteur en possède et la sert avec des spaghetti qui, comme le plus simple des repas, mérite pour être réussi une bonne pâte. Alors qui donc sinon Campo haut roi (1,83 m) de la sauce tomate et de la salsa ?
jean-paul gavard-perret
Emanuel Campo, Faut bien manger, éditions La Boucherie Littéraire, Cadenet, 2019, non paginé — 12,00 €.