1939. Un couple d’Américains est victime d’une machiavélique manipulation de la part de la Gestapo…
Howard Fast (11 novembre 1914 — 12 mars 2003) est un romancier à la bibliographie aussi fournie qu’éclectique. Il s’est essayé à la science-fiction et même à la poésie, mais c’est dans la littérature noire qu’il a, sans nul doute, excellé. On lui doit notamment L’Ange déchu qui a été le premier volume de la collection “Le Miroir obscur” dirigée par Hélène et Pierre-Jean Oswald chez NéO dans les années 80–90. L’empreinte de Fast a été telle que chacun des ouvrages (150) de cette collection a reçu en exergue cette citation extraite de L’Ange déchu :
Je vivais en un monde où tout était normal, ordinaire, stable. Mais quand on présentait devant ce monde un genre particulier de miroir l’image n’était plus normale, ni ordinaire ni stable.
Et cette citation décrit parfaitement le monde de Fast, monde que l’on retrouve dans l’ouvrage présent.
Un homme brisé est un de ses derniers romans. Édité en 1995 à New York par M.E. Sharpe sous le titre original The Bridge Builder’s Story ce roman, paru précédemment en 2002 aux Éditions du Rocher, relate le calvaire subi en 1939 par Scott Waring, jeune ingénieur américain marié de fraîche date à Martha, l’amour de sa vie. Le couple décide de partir en voyage de noces en Europe. Martha a étudié le français à l’université ; Scott, lui, en bon ingénieur, maîtrise l’allemand. Il est amené à construire des ponts. Et Scott veut visiter l’Allemagne.
Le problème est que, même s’il n’est pas militaire dans l’âme, Scott est issu d’une famille reconnue comme telle. Son grand-père, qui fut aide de camp du général Pershing pendant la Première Guerre mondiale, vient d’être nommé conseiller de la Maison Blanche. Une sombre machination nazie va aboutir au meurtre de Martha.
Á partir de là, la vie de Scott Waring bascule. D’abord sauvé par une femme juive allemande qui détient une maison close, Scott reprend peu à peu pied dans une vie sans saveur. Il retrouve quelques couleurs grâce à la fraîcheur de Janet, une jeune danseuse qui sert le soir dans un restaurant qu’il fréquente. Mais ses vieux démons, alliés à une forte culpabilité, le hantent. Pour apprendre à vivre malgré le fantôme de Martha, Scott n’a pas le choix : il doit affronter la période allemande de sa vie.
Le style d’Howard Fast, sec, décharné, ne se préoccupe pas de fioritures. Il dépeint un monde noir qui n’est pas sans rappeler celui de Dashiell Hammett, dont Fast partageait les convictions politiques — ce qui le conduisit d’abord à être victime de la chasse aux sorcières prônée par MacCarthy puis à être emprisonné quelques mois en 1950. Cet univers sombre, tout empreint de son froid réalisme, est aussi poétique.
Un homme brisé n’est pas un polar à proprement parler ; il doit se lire comme une enquête personnelle, une véritable introspection. Howard Fast s’est fait une spécialité de ce type de récit, et la lecture d’Un homme brisé s’accompagnera avec profit de celle de Sylvia, roman de même registre psychologique, paru lui aussi chez Rivages.
julien védrenne
Howard Fast, Un homme brisé (traduit par Monique Lebailly), Rivages, 2004, 206 p. — 7,40 €. Première édition : Le Rocher, 2002, 201 p. — 15,00 €. |