Un roman de politique-fiction très noir
L’intrigue de En pays conquis s’appuie sur une situation très actuelle. Certes, il s’agit d’un roman sombre, paru précédemment dans la Série Noire, mais les événements, les analyses, les péripéties mises en scène se conjuguent tout à fait aux éléments de fiction. On n’est jamais loin de dispositions politiques réelles présentes ou ayant eu lieu dans un passé récent.
L’art de l’auteur passe par cette capacité à réunir ces éléments pour former un tout bien cohérent. Il avance des explications, des hypothèses sur l’évolution politique qui relèvent d’une analyse fine du paysage actuel avec une caste gouvernementale à bout de souffle, à bout d’idées et une population de plus en plus attentive aux fallacieuses sirènes populistes de tous poils.
Ce lundi 27 janvier 2017 au matin, une femme de ménage découvre le cadavre de Christian Dumas, le président de la Commission des comptes de campagne, dans son bureau.
Le dimanche 18 juin 2017, Angélique Dumas rentre chez elle alors que les résultats électoraux tombent et donnent au Rassemblement national une entrée massive à l’Assemblée. Aucune majorité ne se dégage pour gouverner. Ces résultats inquiètent tous ceux qui œuvrent pour les finances du pays, et Angélique en tant qu’adjointe au sous-directeur de la synthèse des finances publiques, le patron du Crédit parisien, la première banque de la zone euro…
Le Président s’interroge car il a déjà frôlé le désastre face à la candidate de la droite Hélène Cassard. Celle-ci, pourtant, a dû laisser la place à Laurence Varennes du Rassemblement. Et le score avait été encore serré. Ces résultats sont l’œuvre de François Belmont, un homme de l’ombre, une relation du père d’Angélique. Il est un l’acteur de la situation difficile avec une cohabitation gauche-droite et la participation inévitable du Rassemblement au gouvernement. Mais la mort du père d’Angélique, assassinat ou suicide, risque fort de compromettre ses plans…
Thomas Brennec qui est à l’aise dans les ramifications entre Bercy et les milieux financiers, les incidences de décisions prises à la va-vite ou dans un sens qui se veut démagogique, décrit des conditions tendues. Il rend un bel hommage à ces fonctionnaires qui œuvrent dans l’ombre pour tenter de garder au pays une position financière à peu près stable : “Un boulot de tâcheron, un travail sans gloire ni reconnaissance, au service de gens aussi incultes que nuisibles.“
Il brosse des portraits peu amènes des politiciens qui ne voient que leurs intérêts personnels : “…protéger l’État des politiques qui se comportent comme des sauvages, capables de laisser derrière eux un champ de ruines si cela leur permet de gravir une marche de plus vers le sommet.”. Il décrit les magouilles politiciennes menées par des gens avides de pouvoir, prêts à tout pour l’obtenir, le garder, aller jusqu’à se renier eux-mêmes, abandonner, sans parler d’honneur, un minimum de respect de soi.
Les masques des personnages politiques sont assez faciles à soulever, bien que certains d’entre eux en portent, sans doute, plusieurs. Mais l’auteur développe une belle intrigue avec la mort, dans des circonstances troubles, de Christian Dumas, ce président de Commission chargé de valider les comptes de campagnes des candidats aux élections.
En pays conquis conquiert le lecteur par son récit attractif, par son intrigue qui prend en compte les sentiments les plus profonds de l’être humain dans un cadre machiavélique.
serge perraud
Thomas Bronnec, En pays conquis, Folio, coll. “Policier” n° 873, janvier 2019, 288 p. – 7, 40 €.