Un nouvel enquêteur pour un roman noir…
La fonte des glaciers sert de point de départ à l’intrigue, un phénomène qui devient catastrophique en Islande. Le glacier Langjökull a perdu trois mètres entre 1997 et 1998 et, au cours des dernières années plus de 3,5 % de sa surface.
Avec Konrad, Arnaldur Indridason propose, pour son vingtième roman publié en France, un nouveau personnage, un nouvel enquêteur sorti des circuits professionnels. Il est retraité, a perdu récemment Erna, son épouse, morte d’un cancer. Il s’installe dans une vie solitaire et tranquille quand survient un événement qui lui offre la possibilité de résoudre cette énigme vieille de trente ans mais à laquelle il pense encore.
De plus, comme lui rappelle le principal suspect, son père est mort assassiné sans que l’affaire soit résolue. Et il est poussé par un moribond à démasquer enfin le coupable.
La guide qui conduit une excursion sur le Langjökull découvre, lors d’une pause, le visage d’un homme sous la glace.
Svanhildur, légiste à l’Hôpital national, identifie le cadavre et prévient immédiatement Konrad, le policier qui avait mené l’enquête restée, cependant, sans conclusion. Il s’agit de Sigurvin, l’homme disparu depuis trente ans. Le principal suspect, à l’époque, était Hjaltalin, parce qu’il avait proféré de violentes menaces à l’encontre de son ex-associé s’estimant grugé dans une affaire. Cependant, il a toujours clamé son innocence dans la disparition de Sigurvin. Et aujourd’hui, bien que mis en détention provisoire, il continue à nier. Il ne veut parler qu’à Konrad bien que celui-ci soit maintenant à la retraite.
Réticent, ce dernier finit par accepter. Il découvre, dans la cellule, un homme terriblement vieilli, atteint d’un cancer. Il voulait voir Konrad car c’était le seul, à l’époque, à avoir douté de sa culpabilité. La conversation dégénère et Konrad se fait traiter d’incapable n’ayant jamais réussi à découvrir le vrai coupable. Hjaltalin lui reproche la vie très difficile qu’il a menée, toujours suspecté d’être un assassin. Il tente de déstabiliser le vieux policier en lui parlant de son père, un escroc, qui est mort de deux coups de couteau sans que jamais le coupable en soit identifié.
C’est la visite nocturne d’Herdis, une jeune femme, qui le décide à s’investir de nouveau compte tenu des éléments qu’elle apporte et des indices nouveaux que révèle la découverte du corps. Sigurvin était vêtu peu chaudement. Il a reçu un coup violent derrière la tête et ses clés de voiture ne sont pas sur lui alors que celle-ci avait été retrouvée abandonnée…
Arnaldur Indridason propose une intrigue aux racines anciennes pour la satisfaction morale de son héros. Cette nouvelle enquête se révèle ardue car le temps a passé, les témoins potentiels ont, soit disparu, soit une mémoire peu fiable. Et toutes les pistes matérielles sont obsolètes ou ont été effacées. Les lieux ont évolué, des constructions anciennes ont fait place à de nouveau équipements.
Le romancier fait vivre, sur les pas de Konrad, une vie familiale, un quotidien et aborde nombre de domaines de la société islandaise. Par exemple, grand-père de deux jumeaux, il s’étonne de l’emploi du temps surchargé des enfants, critique de façon sévère ceux qui ont mené le pays au bord de la ruine : “La privatisation des banques, le chaos financier, la bêtise triomphante des décideurs, les hérauts de la libre entreprise et artisans de l’effondrement économique…”. Mais, sur le Vieux Continent ce genre de crapules a sévi également et, paradoxe, continue de sévir comme si de rien n’était !
Indridason concocte une remarquable galerie d’intervenants, s’attachant à les décrire soigneusement tant pour leur physique que pour leur caractère, dressant des profils psychologiques complexes à l’image de l’individu lambda. Amoureux de son pays, attaché à sa terre, le romancier détaille avec précision Reykjavik et ses environs, les lieux traversés par ses personnages, évoquant l’évolution de la ville et des paysages.
Avec ce nouveau roman, Arnaldur Indridason signe une intrigue subtile, habile, retorse, dans un décor qui se voudrait paisible.
serge perraud
Arnaldur Indridason, Ce que savait la nuit (Myrkrid veit), traduit de l’islandais par Éric Boury, Métailié, coll. “Noire”, février 2019, 288 p. – 21,00 €.