Les Trois Mousquetaires, le roman d’Alexandre Dumas paru en 1844 est mondialement connu et reconnu. Cette histoire de quatre soldats qui s’opposent aux menées du cardinal de Richelieu a passionné des millions de lecteurs. Mais peu de personnes, pour ne pas dire pas personne, ont réellement percé le mystère de ce roman épique. Personne n’a vu la ruse du romancier ni la morale révolutionnaire qui transparaît dans le récit.
Dans une préface étayée d’arguments solides, le scénariste explique les éléments qui l’ont conduit à proposer une vision nouvelle de l’œuvre, à savoir mettre le personnage de Milady au centre de l’histoire, les autres protagonistes devenant secondaires.
Le présent album débute pendant l’hiver 1615 au château de la Fère, dans le Berry. Le seigneur du lieu rappelle à son épouse ses devoirs depuis qu’il en a fait la première dame de sa province. Il entend qu’elle ne se refuse pas à lui et qu’elle l’accompagne à la chasse. Suite à une chute de cheval, voulant faciliter sa respiration, il découpe ses vêtements et découvre une marque infamante sur son épaule gauche. Pour se venger d’avoir été trompé, il la pend à un arbre.
Le récit se transporte en avril 1625 à Meung-sur-Loire. Une jeune et jolie femme, dans un carrosse, reçoit des instructions d’un homme qui vient de faire rosser un Gascon par ses gens pour sa dangereuse impulsivité. Elle doit, selon les ordres du Cardinal, retourner en Angleterre pour surveiller le Duc. Elle prendra connaissance des directives contenues dans la cassette quand elle aura franchi la Manche. Dans celle-ci, Richelieu lui indique que son mariage avec le comte de Winter est valide, le comte de la Fère étant décédé. Quelques mois plus tard, alors que Milady se désespère, un courrier arrive de Paris qui l’enjoint de se rendre au premier bal où se trouvera le duc de Buckingham et les fameux ferrets…
D’après le scénariste, Alexandre Dumas a voulu faire de Milady son personnage central, donnant, au cœur du XIXe siècle, une égalité de la femme par rapport à l’homme. Il retrace ainsi le destin de celle qui, marquée dès le plus jeune âge pour une peccadille, un délit qui n’est même plus sanctionné aujourd’hui, a dû composer et se battre. Elle n’avait guère d’autres choix que la clandestinité, être un espion au service du puissant ministre.
Sylvain Venayre évoque bien le rôle de ces agents de l’ombre en faisant dire à l’un d’entre eux : “Étrange destinée… qui porte les hommes à se détruire, les uns les autres pour les intérêts de gens qui leur sont étrangers… et qui souvent ne savent même pas qu’ils existent !”
Dans une postface érudite, Sylvain Venayre avance les raisons de Dumas pour ce choix et explicite toutes les dissimulations effectuées par celui-ci pour brouiller les pistes. Il donne un récit d’une grande finesse doublé d’un art certain pour avancer les arguments et étayer ses démonstrations. Il ne modifie par l’œuvre originale, il offre un autre angle de lecture.
Le graphisme est la composition de Frédéric Bihel. Il signe un dessin bicolore, dépouillé, presque des esquisses, des ébauches avec toutefois un sens du regard sur ce qui est important. Si les décors ne sont souvent que croqués, l’expressivité de ses personnages est parfaitement rendue. La beauté de Milady est éclatante, ses regards sont éloquents et d’une grande signification. Par contre, D’Artagnan n’est pas représenté sous son plus beau jour.
Avec cet album, Sylvain Venayre offre un récit brillant, érudit, d’un grand intérêt, rendant grâce à un personnage qui mérite d’être redécouvert sous cet angle novateur. Cette histoire est servie par un graphisme singulier qui retient l’attention.
Une expérience à renouveler pour le plaisir pris à suivre cette interprétation d’une œuvre universelle.
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serge perraud
Sylvain Venayre (scénario) & Frédéric Bihel (dessin et couleur), Milady ou Le Mystère des Mousquetaires, Futuropolis, Février 2019, 120 p. – 20,00 €.