John Berger, Un peintre de notre temps & A ton tour

Une fic­tion immémoriale

John Ber­ger a fini sa vie à Antony, dans les Hauts-de-Seine, après avoir vécu depuis les années 70 à Quincy, un vil­lage de Haute-Savoie. Né à Londres en novembre 1926, l’auteur fut un intel­lec­tuel engagé, pro­li­fique et touche-à-tout. Il a écrit de nom­breux livres et pièces de théâtre mais fut aussi poète, peintre et scé­na­riste.
En 1972, il est lau­réat du Man Boo­ker Prize, le plus pres­ti­gieux des prix lit­té­raires anglais, pour son roman “G.”, his­toire du fils bâtard d’une aris­to­crate anglaise et d’un négo­ciant ita­lien. Il fait alors sen­sa­tion en offrant la moi­tié de la dota­tion de ce prix aux Black Pan­thers en fidé­lité à ses convic­tions d’intellectuel engagé, pour­fen­deur du capitalisme.

Mais aupa­ra­vant et en 1958, il publie son pre­mier roman Un Peintre de notre temps. C’est de fait une sorte de pré­lude à G. et ce, peut-être avec plus d’ambition et de com­plexité nar­ra­tive puisque deux voix se croisent. D’un côté, il y a le jour­nal d’un peintre  hon­grois réfu­gié à Londres et de l’autre, celle d’un admi­ra­teur (John) qui recons­ti­tue et com­mente le jour­nal de celui qui a mys­té­rieu­se­ment dis­paru.
L’intrigue est autant poli­cière que (et sur­tout) esthé­tique et poli­tique. Tout devient le pré­texte (et bien plus) à une réflexion sur la condi­tion d’artiste dans un monde en crise.

Ce livre inter­dit dès sa paru­tion sera réédité puis tra­duit 20 ans plus tard et garde aujourd’hui sa force tant sur le plan de l’art que de la poli­tique. Il existe de fait dans ce face-à-face deux exis­tences. Elles ne réclament rien, mais déclarent qu’elles sont en vie et que toute per­sonne qui les regarde l’est aussi.
Cha­cun garde  le res­pect pour  un soi oublié. Les deux pré­sences confirment, envers et contre tout, que la vie demeure un don et une lutte au sein d’un siècle qui, comme le nou­veau, est celui de l’émigration volon­taire ou forcée.

Ce superbe roman est celui de la sépa­ra­tion sans fin et han­tée par le sou­ve­nir. S’y déclare sou­dain l’angoisse de sen­tir que ce qui n’est plus là va man­quer et tout reste sem­blable à la décou­verte inopi­née des mor­ceaux de vie pri­sée, pri­vée et par­fois anes­thé­siée. John en ras­semble les mor­ceaux, découvre com­ment les ajus­ter les uns aux autres : il les recolle soi­gneu­se­ment.
La vie de Levin  finit par être recons­ti­tuée, mais elle n’est plus ce qu’elle fut. Elle n’est plus sans défauts, mais  s’en retrouve plus pré­cieuse. Quelque chose de com­pa­rable arrive à l’image de l’art lorsque celui-ci devient le lieu d’élection de bien des séparations.

jean-paul gavard-perret

- John Ber­ger, Un peintre de notre temps, tra­duc­tion de Fan­chita Gon­zales Bat­tle, L’Atlier Contem­po­rain, Stras­bourg, 2019,  224 p. — 25,00 €.
– John & Yves Ber­ger, A ton tour, tra­duc­tion de Katya Ber­ger Andrea­da­kis, L’atelier contem­po­rain, Stras­bourg, 2019, 104 p. — 20, 00 €.

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