Wilfrid Lupano invite ses lecteurs dans une histoire totalement déjantée. Dès les premières pages du premier tome, le ton était donné. Mais avec le contenu de ce troisième volet le scénariste fait feu de tout bois et propose un second, voire un troisième degré jubilatoire avec un héros insubmersible.
Pistolin, l’humble berger, se consacre à la fabrication du Pécadou, un fromage de cornebique. Mais quand les aigles de Kobéron L’Étincelant dévorent son troupeau, il décide de tuer tous les Mages. Après bien des aventures, il réussit à approcher Kobéron et à annihiler sa magie.
Merdin l’enchianteur, cherche les ingrédients nécessaires à la fée Pompette pour qu’elle puisse le désenchianter. Pistolin est capturé par des esclavagistes, ainsi que Myrtille la seule survivante de son troupeau, pour être vendu à Grââvos pendant le Grand Forum de la Magie. À cause de son épée riquiqui, il est considéré comme un comédien et exposé comme tel au marché. Il fait rectifier sa profession mais personne ne veut d’un fromager. L’esclavagiste en chef, considérant qu’il est invendable, l’expédie aux arènes. Il est accueilli par un groupe réjoui car ils vont être sacrifiés demain, ils vont mourir en martyr.
À cette perspective, Pistolin se trouve mal. Celui qui lui explique la situation le conduit dehors par une grille qui s’ouvre normalement pour respirer… Il s’enfuit. Dans la rue, il est interpellé par une jeune femme qui le déclare élu des dieux. Ravi, il la suit. Il est assassiné. C’est ainsi qu’il arrive dans un jardin tenu par dieu le père, un dieu qui en a assez de lui sauver la mise et qui lui demande quel est son problème avec la vie. Renvoyé sur Terre, Pistolin n’est pas au bout de ses peines…
Entre les déboires de Pistolin, ceux de Merdin, ceux de la fée Pompette, il y a matière à rire tant le propos paraît amplifié, tant le trait est grossi. Cependant, Lupano ne fait que puiser dans le quotidien de notre société, en amplifier les côtés abusifs, transformer les aspects outranciers, moquant, par exemple, les « belles institutions » que l’homme s’est ingénié à concevoir.
Avec Grââvos et son Forum, avec les appellations contrôlées, avec dieu le père en jardinier qui n’en finit pas d’en avoir ras le chapeau de paille, avec les rituels, les courants, les mouvances, les schismes infinis au sein de partis politiques, Lupano nous régale. Mais avec les traquemages de diverses obédiences, prêts à se laisser entraîner au sacrifice, y allant même avec une mine réjouie, n’est-ce pas l’image de ces individus que l’on enrôle à coups de boniments pour les envoyer au casse-pipe pendant que d’autres gambergent que l’on nous montre ?
Relom recrée un univers rural de type moyenageux, mêlant une fantasy revisitée par le terroir, les traditions paysannes. Il excelle à présenter des monstres, des hybrides tant beaux que laids, voire franchement hideux. La mise en images est dynamique, la lecture facile et les expressions des personnages délicieusement outrées. Il offre une superbe vignette rappelant les Carceri de Piranèse.
Avec ce troisième tome se clôt la série, une bien belle histoire dans un cadre particulièrement novateur. Un régal… comme le Pécadou !
serge perraud
Wilfrid Lupano (scénario), Relom (dessin), Étienne Le Roux (storyboard) & Degreff (couleur), Traquemage – t.03 : Entre l’espoir et le fromage, Delcourt, coll. “Terres de légendes”, janvier 2019, 56 p. – 14,95 €.