Laurent Philipparie, Lectio Letalis

Lire et mourir…

Quand un offi­cier de police se lance dans la lit­té­ra­ture poli­cière, il y a tou­jours le risque que le fond prenne le des­sus sur la forme, et que la réa­lité empiète trop sur la fic­tion, mais avec Lec­tio Leta­lis, Laurent Phi­lip­pa­rie nous livre une intrigue noire et hale­tante assez réus­sie en plein cœur d’un com­plot sec­taire.
Au centre de ce roman, un livre mau­dit, qui cause dès la lec­ture de ses pre­mières pages la mort de son lec­teur. C’est d’ailleurs ce qui se pro­duit dans la mai­son d’édition pari­sienne Ger­ber, où trois sui­cides ont déjà eu lieu. Des morts inex­pli­cables qui décon­certent les offi­ciers de police qui sont char­gés de l’enquête.

Dans le même temps, le lieu­te­nant Gabriel Bar­rias, homme de ter­rain au passé sul­fu­reux, est confronté au meurtre d’un psy­chiatre dans des cir­cons­tances aty­piques, puisque ce der­nier a été mas­sa­cré par un rapace dans son cabi­net. Une de ses ex patientes, Anna Jean­son, intrigue rapi­de­ment le lieu­te­nant Bar­rias. Elle fut l’unique sur­vi­vante d’un sui­cide col­lec­tif mené des années plus tôt dans une secte, où des ani­maux étaient dres­sés à tuer.
En sui­vant sa trace, Bar­rias va-t-il trou­ver un lien entre ces deux affaires ? Son passé trouble ne va-t-il pas alté­rer son juge­ment, et l’obliger à fran­chir les limites de la léga­lité ? Ses recherches vont mettre à jour des révé­la­tions stu­pé­fiantes qui risquent de l’entraîner au bord de la folie.

Si le début de roman peine un peu à convaincre, il n’en est plus rien au bout de quelques cha­pitres, et le fait que l’auteur soit diplômé de sciences cri­mi­nelles et aie l’habitude du ter­rain donne très vite une cré­di­bi­lité à cette his­toire aux limites du fan­tas­tique. Com­ment ima­gi­ner qu’un livre puisse cau­ser la mort ? Si l’idée avait déjà été brillam­ment uti­li­sés dans Le nom de la rose, il était assez ris­qué de se lan­cer à nou­veau dans ce genre d’idée, et pour­tant le lec­teur se laisse convaincre peu à peu.
Les dérives sec­taires et la folie qu’elles entraînent sont dénon­cées ici avec intel­li­gence, et nous rap­pellent com­bien notre rai­son peut bas­cu­ler faci­le­ment face à quelques mani­pu­la­teurs. Ici, folie, conquête du pou­voir, et ven­geance se mêlent acti­ve­ment et habilement.

Les per­son­nages perdent de leur huma­nité au fil de cette enquête nocive pour leur santé men­tale, et on se demande s’ils attein­dront le point de non-retour. Le prin­ci­pal enquê­teur voit son passé le rat­tra­per, ce qui pour­rait bien alté­rer son juge­ment, sur­tout quand des sen­ti­ments amou­reux com­mencent à appa­raître. Du coup, le juge­ment du lec­teur est lui aussi trou­blé, et il ne sait plus où sont vrai­ment les ‘méchants’. C’est sûre­ment un des plus grands atouts de ce roman, ainsi que la grande effi­ca­cité des scènes de ter­rain décrites par l’auteur.
Peut-être sera-t-il plus dif­fi­cile de convaincre avec la par­tie plus éso­té­rique de l’intrigue, en par­ti­cu­lier avec le dres­sage de ces ani­maux, mais pour un pre­mier roman grand public (un autre livre Ne regarde pas l’ombre est passé inaperçu), les codes lit­té­raires du thril­ler sont déjà bien mis en place. En tout cas, vous ne pour­rez que suc­com­ber à l’addiction pro­vo­quée par cette intrigue hors normes.

franck bous­sard

Laurent Phi­lip­pa­rie,  Lec­tio Leta­lis, Bel­fond, 2019,  368 p.  — 18, 00 €.

 

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Filed under Pôle noir / Thriller

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