Maître Serge, tout au long de son œuvre, a fait montre d’une prédilection pour les mutations, les transformations, les mutilations, les déformations des corps des êtres vivants, de la flore, voire des minéraux, allant bien au-delà de ce que l’Homme a imaginé, pourtant fertile en la matière.
Dans ce roman, il se surpasse avec un apport de nouveautés surprenantes. Il multiplie à l’envi les contraintes, les problèmes, les difficultés, les entraves, les complications pour ses personnages. Il les soumet à toute une suite de dangers, de périls de toutes natures, jusqu’aux ombres qui deviennent menaçantes, dans l’acceptation première de l’expression.
Ushako est considérée comme une sorcière car elle réveille les noyés. Son fils, Jarak, aussi laid qu’elle, est soumis à des brimades. Il promet de se venger. Ushako lui révèle d’où elle tient son pouvoir. Toute jeune, elle est tombée, par une crevasse, dans le sépulcre du roi Squelette. Du cadavre, il ne reste que des os. Ceux-ci se désagrègent, l’ingestion de leur poussière en suspension dans l’air, a des effets magiques. Jarak n’a jamais été malade car sa mère lui en donne depuis sa naissance. Le garçon se prend alors pour l’héritier du roi, se rend régulièrement dans la tombe. La nuit, son sommeil est peuplé d’images de batailles effrayantes.
Dans ces combats, il remarque deux personnages singuliers, une géante obèse et un cul-de-jatte à cheval sur les épaules de la femme. Il est devenu un colosse que les autres craignent. Il découvre qu’il peut modifier son corps. Il remarque que le bouclier et l’épée du roi se rapetissent n’étant plus nourris de sang. Il comprend qu’il doit continuer l’œuvre de son père. Il commence par occire tout le village voisin, voyant avec plaisir ses armes se gaver de sang, se régénérer. Il s’embauche comme mercenaire. Sa fougue assassine est si grande qu’il suscite l’admiration des guerriers qui l’entourent, mais aussi la peur… la haine. Il devient Jarak le Bourreau.
Cinq ans plus tard, il est à la tête d’une armée qui attaque la citadelle du roi Sankamar II où, parmi les défenseurs, se trouvent Junia et Shagan, la géante et le cul-de-jatte. La bataille est perdue. En suivant le chemin noir, ils se réfugient, avec le gratin de la cour, dans une immense grotte. S’évader est exclu pour le moment avec les hordes de Jarak qui campent au-dessus d’eux. Mais Junia et Shagan vont-ils supporter longtemps de travailler comme des esclaves…
Le romancier dresse une galerie de protagonistes tous plus déjantés les uns que les autres, adaptés, conditionnés à de modes de vie difficiles, à des mutations, des transferts, des échanges de corps, d’âmes. Il donne ainsi, aux nantis, princes, princesses, sénateurs toutes les possibilités de survivre. Peut-on voir là une critique acide de cette classe dirigeante, affligeante dans sa course éperdue vers le profit, vers le pouvoir, vers le pouvoir qui permet plus de profits, sans se soucier des autres classes sociales ?
Brussolo manie un humour noir avec brio, un humour décalé, mais collant si bien à la réalité. Ainsi, des hommes ayant choisi l’Échange sont devenus des lions. “L’intérêt de devenir un animal, c’est qu’on oublie ses soucis d’homme, on n’est plus sujet aux angoisses existentielles… La nourriture, la fornication, la sieste suffisent à remplir notre vie.”
Ce roman offre une sorte de préquelle au Tombeau du roi Squelette, roman paru en mai 1988 dans la collection Anticipation du fleuve noir avec Shagan et Junia pour héros. Roman d’aventures, de fantasy, d’heroic-fantasy, d’angoisse, thriller, Les Ombres du roi Squelette emprunte des éléments de tous ces genres pour une débauche de péripéties inventives, de rebondissements où l’imagination règne en maîtresse.
serge perraud
Serge Brussolo, Les Ombres du roi Squelette, Bragelonne, janvier 2019, 384 p. – 16,90 €.