Francis Bacon, Conversations. Entretiens 1964–1992

En avoir ou pas — Fran­cis Bacon

Il existe dans les “conver­sa­tions” de Fran­cis Bacon presque autant de sin­gu­la­rité que dans sa pein­ture. C’est pour­quoi le “dis­cours” sur son art qu’il tenait pour impos­sible prend ici maints tours et détours qui com­plètent le livre d’entretiens qu’il effec­tua avec David Syl­ves­ter.
La qua­lité des inter­vie­wers et leur dif­fé­rence (Mar­gue­rite Duras, Jean Clair, Michael Pepiatt, etc.) rendent des sai­sies sin­gu­lières. Bacon est fidèle à lui-même sin­gu­lier, drôle, inci­sif et tou­jours pro­fond.
Un seul exemple  suf­fit à s’en convaincre. A Pep­piatt il rap­pelle que la réa­lité est “ce qui sur­vient dans la façon dont la pein­ture a été appli­quée”. Mais Bacon d’ajouter : “j’essaie aussi de pro­duire cette réa­lité dans l’apparence de la per­sonne que je suis en train de peindre” .

D’autant que, d’emblée, Bacon s’en prend à ce qui sin­gu­la­rise l’être, lui donne son iden­tité : le visage. C’est celui-ci qu’il creuse, qu’il efface. Mais c’est pour le peintre une manière d’éliminer l’événement, l’anecdote pour ren­voyer à quelque chose de mythique.
C’est, dans le même temps, assi­mi­ler l’être à la matière pein­ture, c’est faire de la pein­ture une huma­nité (et non par la pein­ture mon­trer la déshumanité).

Rappelons-nous à ce pro­pos son aveu (et même si le peintre ne pen­sait pas et pour cause à ce que nous connais­sons aujourd’hui) a pro­pos de la vir­tua­lité de nos uni­vers : “Nous vivons presque tou­jours der­rière des écrans — une exis­tence voi­lée d’écrans. Et je pense que, quelques fois quand on dit que mes oeuvres ont un aspect violent, que j’ai peut-être été de temps en temps capable d’écarter un ou deux de ses voiles ou écrans”.
En effet, plus que des moments de crise (que sym­bo­li­se­rait le cri muet que le peintre fait entrer en vibra­tion sur ses toiles), Bacon laisse émer­ger des moments de luci­dité ter­rible, de mise à nu (plus que de mise à mort) de ce qu’il y a dans l’être de plus hos­tile mais aussi de plus ouvert.

A ce titre, sa culture gay des années 60–70 n’est pas sans influence avec une ico­no­gra­phie qui ose mon­trer et pro­vo­quer jusqu’à l’outrance, une outrance uti­li­sée comme contre-feu aux tabous qui à l’époque fai­saient encore résis­tance. Il en parle ici mais de manière allu­sive dans une stra­té­gie sub­tile et imper­ti­nente de la conversation.

jean-paul gavard-perret

Fran­cis Bacon, Conver­sa­tions, entre­tiens 1964–1992, Pré­face de Yan­nick Haen­del, pho­tos inédites de Marc Tri­vier, L’Atelier contem­po­rain, Stras­bourg, 2019, 208 p. — 20,00  €.

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