Quand les faux-semblants règnent en maître
Un couple qui bat de l’aile dans une petite ville de province où tout se sait, ou presque. Un chef d’entreprise qui n’est pas à la hauteur de sa fonction, un homme qui se révèle odieux. Une femme à la dérive qui encaisse sans rien dire, qui accepte une situation très inconfortable. Le décor est planté.
Cécile Cabanac peut mettre en place la minutieuse enquête de deux policiers confrontés à un crime qui se révèle bien mystérieux, où les indices manquent singulièrement. Comment identifier un tronc humain sans empreintes, sans tête ? Et lorsque ce sera fait, que la victime sera connue, les coupables potentiels seront légion.
Le 25 novembre 2000, à Ceyrat, François Renon est seul dans la maison. Il boit et se sent incapable de bouger. Il devine une silhouette qui se profile, puis le néant. Le 28 novembre, Catherine Renon et ses trois enfants rentrent d’un week-end chez Annie, sa sœur, à Fontainebleau. Cette dernière, atteinte d’un cancer du poumon, est en phase terminale. C’est la boulangère de Ceyrat qui lui fait remarquer que son mari sait s’amuser : “La nuit de vendredi ça été quelque chose.” Catherine constate qu’une frontière a été franchie bien que se doutant que son couple alimentait les conversations depuis quelques mois. Elle rentre chez elle. Son mari est absent. Elle est troublée par une odeur de détergent et une autre qu’elle croit connaître…
Le 30 novembre, à Vichy, Michelle Renon attend son fils. Il doit venir réparer une fuite dans le toit. Il a deux heures de retard. Elle se remémore son rôle de mère. François, qui a hérité de l’entreprise de son père, est son préféré. Par contre, elle n’a jamais aimé ses filles, Jeanne et Marie. Elle les a même maltraitées. Inquiète, elle appelle Catherine. Celle-ci ignore où est son mari. Il a fait ses valises et il est parti, réplique-t-elle… Catherine ne veut plus répondre aux sollicitations, elle donne différentes versions. Décidée à faire quelque chose, elle commence à fouiller le bureau de son mari et ce qu’elle découvre…
À Clermont-Ferrand, La capitaine Sevran est appelée par l’officier de nuit. Un joggeur a découvert un cadavre auquel on a tenté de mettre le feu. Elle se rend sur le champ au col des Goules avec Pierre Biolet, son collègue. Ils découvrent un corps sans tête, totalement démembré…
La romancière introduit une difficulté supplémentaire pour l’enquêtrice en chef. La capitaine Virginie Sevran, à sa demande, a été mutée du prestigieux 36, quai des Orfèvres au commissariat de Clermont-Ferrand. Il lui faut créer des contacts, un réseau de connaissances, nouer des liens avec les partenaires de l’équipe policière. Et, que cache cette décision ?
Avec ces éléments et une galerie de personnages étoffée, peuplée de protagonistes aux caractères complexes, en difficulté face à l’existence quotidienne, face à un type de société, face aux autres, la romancière construit une intrigue solide, fourmillante à souhait, un huis clos rural qui débouche sur une singulière conclusion. Les liens troubles entre les personnes, les douleurs physiques et morales, les secrets familiaux, les lourds ressentiments, sont à la fête dans ce livre foisonnant à l’écriture limpide, au style alerte, aux dialogues efficaces.
Le titre qui emprunte à un vers du Macbeth de William Shakespeare : “Ici je vois des poignards dans les sourires”, illustre tout à fait l’atmosphère du roman. Ce dernier, à l’intrigue subtile, voire retorse, à la galerie de personnages attachants ou repoussants, mais tous intéressants, offre un grand moment de lecture-plaisir.
serge perraud
Cécile Cabanac, Des poignards dans les sourires, fleuve noir, février 2019, 456 p. – 19,90 €.
bien aimé des poignards dans les sourires bonne critique