Fred Duval, Michel Bussi & Didier Cassegrain, Nymphéas Noirs

Nymphéas noirs… comme la mort ?

Trois femmes vivaient à Giverny. La pre­mière, la Sor­cière âgée de 84 ans, est méchante. La seconde, Sté­pha­nie Dupain, à 36 ans, est men­teuse. La troi­sième, Fanette Morelle, du haut de ses 11 ans, est égoïste. Toutes trois ont un point com­mun, un secret. Une fenêtre va s’ouvrir pen­dant treize jours, mais une seule d’entre elles pourra s’échapper.
La Sor­cière, dans les pre­mières heures du matin, avec son chien Nep­tune, passe devant un cadavre gisant dans l’Epte sans s’arrêter. C’est Jérôme Mor­val, un enfant du pays, devenu chi­rur­gien oph­tal­mo­lo­gique dans le XVIe arron­dis­se­ment de Paris. Il a été poi­gnardé, le crâne défoncé et la tête mise dans l’eau. L’inspecteur Lau­renç Séré­nac arrive de Ver­non. Dans une poche, celui-ci trouve une carte pos­tale où il peut lire en lettres d’imprimerie : “Onze ans. Bon anni­ver­saire” Des­sous une bande est col­lée : “Le crime de rêver je consens qu’on l’instaure.“
Il ren­contre l’institutrice, la plus belle femme du vil­lage, pour avoir la liste des élèves âgés de onze ans. Le cou­rant passe entre ces deux ama­teurs de pein­ture. Elle lui apprend que la seconde phrase sur la carte pos­tale est un vers tiré de Nym­phée, un poème d’Aragon, un habi­tué de Giverny. Séré­nac et Syl­vio, son adjoint, reçoivent cinq pho­to­gra­phies repré­sen­tant Mor­val avec une femme dif­fé­rente. Cer­tains cli­chés exposent des situa­tions sans équi­voque sur leurs rela­tions char­nelles. Sur l’une, il se pro­mène avec Stéphanie.

Fanette Morelle est aux anges. Grâce à James, un vieux peintre amé­ri­cain, un peu clo­chard, elle peut peindre et pourra se pré­sen­ter au concours de la Fon­da­tion Theo­dore Robin­son. Il lui pré­dit un brillant ave­nir comme artiste.
Le mari de Sté­pha­nie a la répu­ta­tion d’être jaloux. Les soup­çons se portent natu­rel­le­ment sur lui. Mais son épouse témoigne qu’il était avec elle au moment du crime. Les sen­ti­ments forts de Lau­renç pour Sté­pha­nie faussent son juge­ment. Aussi, quand James est assassiné…

Michel Bussi a pris pour décor de sa machi­na­tion le Giverny d’après Claude Monet. Pen­dant presque cin­quante ans les jar­dins furent fer­més, oubliés, aban­don­nés. Puis le vil­lage se nimbe de la gloire de son célé­bris­sime résident. L’auteur fait une des­crip­tion pétillante, alerte des consé­quences de cette célé­brité sur les lieux, fait revivre, au sein de son récit, les grandes évo­lu­tions du vil­lage depuis les tra­vaux de Claude Monet, ses lar­gesses…
Il conjugue, avec maes­tria, une bio­gra­phie du peintre, une his­toire de Giverny, une des­crip­tion de la vie du vil­lage à dif­fé­rentes époques et une intrigue par­ti­cu­liè­re­ment retorse et astu­cieuse, basée sur Les Nym­phéas. Il mul­ti­plie les pistes, braque le pro­jec­teur sur l’impressionnisme, sur les convoi­tises que sus­cite l’art… et s’amuse à faire naître des illu­sions, des impres­sions, des jeux de miroirs.

Pour faire vivre son récit, le roman­cier éla­bore une gale­rie de per­son­nages tous plus inté­res­sants les uns que les autres. Il dresse des por­traits sai­sis­sants qui inter­pellent tant par leur mise en scène que par leur pré­sence. Il brosse, ainsi, le por­trait fabu­leux d’une vieille femme qui porte un regard sur la société, sur le com­por­te­ment de ses contem­po­rains, avec un humour acide, voire cynique, un regard désa­busé rame­nant les choses à leurs justes dimen­sions.
Elle tient des avis tran­chants sur le vil­lage, son évo­lu­tion, émet des anno­ta­tions pleines de per­ti­nence, d’ironie dévas­ta­trice sur la vieillesse et les capa­ci­tés en déclin, les secrets concer­nant les événements.

L’intrigue se joue sur plu­sieurs niveaux pas­sant avec aisance de l’un à l’autre. Bussi uti­lise les apti­tudes de l’esprit à accep­ter, rete­nir, refou­ler des situa­tions, des sou­ve­nirs, des faits, pour construire une par­tie des péri­pé­ties. Il met en scène les contin­gences humaines, les irré­pres­sibles pul­sions, les sen­ti­ments impé­rieux à tra­vers un ins­pec­teur de police, fraî­che­ment émoulu de l’école, confronté à un mélange des genres, à un conflit d’intérêt.
Fred Duval livre une adap­ta­tion fort réus­sie, retrans­cri­vant avec brio toute la roue­rie du récit, les sub­ti­li­tés des carac­tères, les mys­tères que chaque per­son­nage entre­tient et les degrés de ten­sion qui se dégagent de cette his­toire. Quel pouvait-être un meilleur choix que de rete­nir Didier Cas­se­grain pour mettre en images un récit autour de l’œuvre de Claude Monet ? Per­sonne ! Il excelle, avec son des­sin si recon­nais­sable, à faire écla­ter les ambiances, res­ti­tuer les atti­tudes des per­son­nages, rendre per­cep­tible le lan­gage des corps, faire per­ce­voir les sen­ti­ments, les émo­tions res­sen­ties. Que dire de sa mise en cou­leurs qui se rap­proche de celle du génie de Giverny ? Sa repré­sen­ta­tion de la cathé­drale de Rouen à la façon de Monet est remarquable.

Avec ces Nym­phéas noirs, les auteurs retrans­crivent une intrigue habile qui sur­prend par une ori­gi­na­lité et de magni­fiques his­toires à la tona­lité très humaine, ser­vie par une mise en image superbe.

serge per­raud

Fred Duval (adap­ta­tion du roman de Michel Bussi) & Didier Cas­se­grain (des­sin et cou­leurs), Nym­phéas noirs, Dupuis, coll. Aire Libre, jan­vier 2019, 156 p. – 28, 95 €.

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