Henri Loevenbruck, Le testament des siècles

Force est de consta­ter que les terres du théologico-mystico-esthético-policier ont déjà été fort labourées

Henri Loe­ven­bruck est un auteur culotté, ce qui ten­drait d’emblée à me le rendre sym­pa­thique. Com­ment paraître en effet autre que culotté lorsqu’on pré­tend offrir au lec­teur un énième thril­ler sur un mes­sage chris­tique perdu au fil des siècles et fai­sant sou­dain, en même temps qu’irruption dans la vie du héros, Damien Lou­vel, l’objet de mille et une luttes entre fac­tions rivales ? Que celles-ci soient éma­na­tion de l’Acta Dei (selon une filia­tion Opus Dei — Congré­ga­tion pour la Doc­trine de la Foi) d’une part et du grou­pus­cule inter­na­tio­nal Bil­der­berg d’autre part ne suf­fit pas à insuf­fler à cet opus la marque du génie nova­teur — même si je recon­nais que les infor­ma­tions sur Bil­der­berg sont très inté­res­santes, c’est-à-dire inquié­tantes, et témoignent d’un beau souci de docu­men­ta­tion de la part de l’auteur.

Mais j’ai eu beau faire en lisant ces pages enfié­vrées qui pro­posent une inter­ac­tion tonique entre la gra­vure Melen­co­lia de Dürer et la relique de la pierre de Ior­den ser­vant de clef pour décryp­ter la Bonne Nou­velle pro­mise par Jésus aux hommes, je n’ai pu m’empêcher par asso­cia­tion de voir défi­ler d’autres titres sous mes yeux : Qum­ran, Le livre de Saphir, Gene­sis, Les enfants du Graal, Le mys­tère du saint-Suaire, Le Suc­ces­seur de pierre, etc. Non pas d’ailleurs que Le tes­ta­ment des siècles mette, benoît, ses pas dans ceux d’aussi illustres aînés, mais force est de consta­ter que les terres du théologico-mystico-esthético-policier ont déjà été fort labourées…

Bref, pas facile de s’imposer dans un tel contexte ultra­ré­fé­ren­cié, et Henri Loe­ven­bruck s’en tire d’ailleurs plu­tôt bien, car il sait jouer avec humour de cli­chés lorsqu’il évoque les carac­tères mar­qués de ses deux pro­ta­go­nistes tout comme il puise dans les cyber­ma­té­riaux afin de doper son pro­pos d’un zest de contem­po­ra­néité pour faire la nique aux vieilles reliques pous­sié­reuses que les êtres de papier pour­suivent depuis belle lurette en lit­té­ra­ture sous l’égide des roman­ciers. Si donc j’adresse un reproche, c’est sur­tout au res­pon­sable édi­to­rial de ce texte qui n’a pas dû le lire avec beau­coup de pas­sion, lais­sant par­fois dans des pages entières plus d’une dizaine d’adverbes et de par­ti­cipes pré­sents, ce qui alour­dit la struc­ture d’ensemble. Sans doute y a-t-il éga­le­ment trop de dia­logues dans ce thril­ler mais bon, il n’empêche que Le tes­ta­ment des siècles béné­fi­cie de la veine fan­tas­tique où l’auteur a fait ses pre­mières armes chez Bra­ge­lonne, ce qui contri­bue au fait que j’ai eu du mal à ne pas lire d’une seule traite les 150 pre­mières pages, bien dosées en rebon­dis­se­ments et en infor­ma­tions his­to­riques (ça, c’est un compliment).

Je conseille d’ailleurs au lec­teur curieux le site dédié au roman et expé­dié manu mili­tari par Flam­ma­rion en fin d’ouvrage, ce qui est assez para­doxal quand on sait que l’enquête menée par Damien Lou­vel (scé­na­riste franco-new-yorkais paumé mais biker ten­dance har­drock) et Sophie la jour­na­liste (bisexuelle mais bonne cui­si­nière et fine limière) a lieu en grande par­tie sur le net, grâce aux inter­ven­tions d’un hacker des plus cré­dibles. Ça aurait quand même été per­ti­nent que Flam­ma­rion joue la carte du Web en fai­sant paraître ce livre, non ? Ça, ça aurait été une vraie Bonne Nou­velle dans le monde éditorial.

fre­de­ric grolleau

Henri Loe­ven­bruck, Le tes­ta­ment des siècles, Flam­ma­rion, 2003, 376 p. — 20,00 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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