Béatrice Brérot, Dix mille êtres dedans

Migra­tions

Béatrice Bré­rot crée une réa­lité en appel par un expé­ri­men­ta­tion for­melle où la poé­sie retrouve par­fai­te­ment la visée des “Can­tos” cha­ma­niques chers à Ezra Pound —  mais bien sûr selon des voies ori­gi­nales. Tout est mou­ve­ment dans le plus immense poème de la migra­tion ou “dix mille êtres dedans” et à tra­vers les scan­sions de la créa­trice viennent de par­tout et de nulle part, mais sur­tout d’un monde menacé dans son exis­tence même,  “de la gyre de Beau­fort ou du Wed­del de Hum­boldt de Lee­win” comme “du poil des plus plumes des écailles du pol­len des cris­taux”,  du ventre du vent et de l’argile mère.
La poé­tesse dans sa mar­mite monde brasse sa soupe méta­phy­sique. La figure de la Femme est cen­trale — ce qui  ren­verse les mythe de la créa­tion où elle est géné­ra­le­ment seconde car simple récep­tacle.  Ici, Par l’éclatement lyrique des seg­ments ver­baux et leur répé­ti­tion elle crée une conden­sa­tion de l’existence venant à bout de la perte et de l’abandon.

Existe le plus grand racle­ment pos­sible par l’incantation. Béa­trice Bré­rot retrouve une tech­nique de dila­ta­tion afin non d’entrer en sur­réa­lité mais en réa­lité confon­dante. Elle fait par­ler par le miroi­te­ment de ses images ou plu­tôt de ses mots en psal­mo­diant   afin de  per­fo­rer le silence sans fond de l’être. Dès lors, même les corps usés, fati­gués retrouvent une santé.
Loin de toute tem­pé­rance, l’artiste éprouve le besoin d’évoquer un tel ren­ver­se­ment, afin que de chaque jar­din secret jaillissent d’autres sens et des sens autres. Il s’agit, en  notre période de doute, d’oser la vie et les  flux migra­toires (mais au sens large du terme).

Entre vide et fic­tion le corps auto-ensemence sa glaise car­née avec une charge d’inconnu qui trans­cende la dou­leur pour entrer en  une sorte d’épanouissement. Émerge une dila­ta­tion étrange au moment où la chair émigre non pour l’exil mais pour d’autres croi­se­ments de corps et de sen­sa­tions.
Le poème au gré de ses mou­ve­ments cru­ci­fie les vicis­si­tudes. Les mots n’assomment plus, ils enno­blissent. Une âme y pal­pite, un corps s’y délivre. Et, contre toute attente, le poème apprend la vie.
Nous nous retrou­vons au coeur d’un des­tin en marche qui s’éloigne des pré­ci­pices et des dic­ta­tures de replis.

jean-paul gavard-perret

Béa­trice Bré­rot, Dix mille êtres dedans, Estampes de Nadège Dru­zowski, Colar Gang, Saint-Génis-les-Fontaines, coll. Lumi­naires, 2019, 64 p. — 13,00 €.

1 Comment

Filed under Poésie

One Response to Béatrice Brérot, Dix mille êtres dedans

  1. Jeanne

    Oh! je découvre à l’instant cet article, écho de la chi­mie employée dans ma cui­sine de l’argile de l’enfance aux mar­mites en fusion…à la source des jar­dins qui ne meurent jamais.… magnifique!

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