Nul ne pourra ici deviner qui parmi ces quatre auteurs sont ceux considérés comme “fous” et “normaux”. C’est d’ailleurs la grandeur et le pari de Folazil et de sa directrice Marie-Philippe Deloche. Elle édite un nouveau syllabus, émotif parfois, rongé, rogné, travaillé et retravaillé en quelques syllabes ou en mottets.
A l’inverse d’un langage infantile ou d’un retour à une babélisation de la langue, les quatre ensembles confrontent à des théâtres pulsionnels reconstruits et remodelés. Ils ouvrent à une autre lisibilité et une autre cartographie du réel.
“Tu es rasée / Je suis poilue / Tu veux me catégoriser / Je le revendique comme une particularité” écrit par exemple Ina dans sa bataille suivie de commentaires “sucré[s] au miel” ou “saupoudré[s] de sel fin”. Surgit un langage puissant visant à exprimer un moi autrement que de manière chronologique et univoque. Et Julie Fuster (photo) de préciser : “Quand je pense à ce que je n’ai pas dit / Je me demande pourquoi je continue de parler / Pour dire ce qui est arrivé”. Mais elle fait bien plus.
Comme les trois poètes qui l’accompagnent et Martin Fuster (dont les dessins ironisent les textes), la jeune poétesse se voit renaître dans une profération insistante. Elle percute les énonciations reconnaissables et s’exclut du jugement des pères et de celui de Dieu. Leurs lois sont évacuées. L’habituel logos perd ses repères et ses lois coutumières.
A ce titre, Justin Follenfant devient un mécréant, un mécréateur. Il écrit “au delà des guillemets” : repris et corrigé sans cesse dans son langage, un déferlement suit son cours, saisit, en ses apparitions, des conséquences nouvelles. Comme le propose aussi Narmane Rahdoum, “vilain petit canard” vue par sa mère “comme distorsion de la réalité” mais qui chantourne le mauvais amour pour l’ouvrir en dehors des affres de la “culpabilité ingrate”.
Nous sommes plongés bien au-delà du grand guignol grotesque des classiques émois. Chacun des quatre poètes affronte le monde et ses représentations sur la scène de son écriture originale.
Les auteurs déjouent la rationalité du discours afin de recouvrir leur liberté. Ils réinventent le langage pour que ce dernier ne soit plus une duplication donc une duplicité. Ils veulent “ simplement ” lutter contre les étouffements en creusant syntaxe et langage en mettant à mal le “ caveaubulaire ”.
La langue n’est donc plus avatar ni même dérive mais cas d’anti-école. Chacun doit réapprendre à la lire et comprendre ces mots non carapaçonnés. Ils s’envolent des nids de sens qui les arrangent mal .
jean-paul gavard-perret
Justin Follenfant, Julie Fuster, Ina & Narimane Rahdoun, Et la nuit passera sans pouvoir nous réduire, Dessins de Martin Fuster, Editions Folazil, Grenoble, 2109, 76 p. — 12,00 €.