Sous un pseudonyme aussi décapant qu’ironique, se cache une créatrice polymorphe à l’esprit bien trempé et qui ne se contente pas de regarder le temps passer. Elle agit, provoque au besoin. Le tout armée d’une culture qu’elle n’étale jamais. A travers son oeuvre, les femmes se frayent un passage, laissent apercevoir ce que les hommes occultent ou transforment à leur “main”.
Sarah Fisthole investit de ses mots et de ses images une nécessaire tension et attention propre à éloigner des écoeurements que génèrent ceux (et celles) qui se cramponnent aux images et idées reçues.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le café, le travail, les pensées qui se bousculent, le chat qui m’attend, la nécessité d’être active sinon j’ai mal partout, la tête et le corps et surtout mon planning.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je les ai réalisés… Je voulais exposer mes dessins, mes peintures, avoir mon nom sur les livres, être éditrice, passer à la télévision, dans les journaux, écrire, vivre à Paris…etc… Sachant que personne ne viendrait me chercher, j’ai fait les choses par moi-même. En travaillant dur, de manière indépendante. Je me suis donné une chance et il s’avère que mon travail à vite intéressé… contre toute attente de ma part. Je m’étais fait des promesses et m’en souvenir à un moment donné m’a permis d’avancer dans ma vie de « grande personne ». Mais fort heureusement la boucle n’est jamais bouclée, ayant toujours une logique d’avenir comme si je venais d’avoir mon bac, je me dis toujours « quand je serais grande », je me fabrique des rêves tout le temps.
A quoi avez-vous renoncé ?
La colère, la vie de couple et le matérialisme.
D’où venez-vous ?
Je ne sais pas trop, j’ai l’air d’un ovni dans ma famille. J’ai toujours été un ovni, partout, à n’importe quel âge. Enfant, je ne comprenais pas les enfants, adulte, j’ai encore moins compris les adultes. De manière factuelle en parlant état civil, je viens de l’Isère.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Le sens du détail, la faculté de résilience et une sensibilité exacerbée.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Prendre des bains et aller à la piscine.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je ne sais pas, je ne me compare pas.
Comment définiriez-vous narrations plastiques?
Brutale et charnelle.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Les danseuses de Degas, L’Etoile entre autre. Collées en décoration sur des savons, j’avais 3 ou 4 ans. Mais avant tout, la Nature, les montagnes où j’ai grandi enfant.
Et votre première lecture ?
“Les Malheurs de Sophie” en littérature et “Mafalda” en BD, entre autres, j’allais beaucoup à la bibliothèque.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute de tout, selon mes humeurs (même si je refuse catégoriquement certains sons : variété française, techno soupe…). Disons que j’écoute du rock, du métal, en passant pas la musique baroque (Marin Marais par exemple), le blues… et je peux me retrouver dans des choses plus douces, mais pas trop : « l’easy listening » m’angoisse. Généralement, j’aime la puissance quelle que soit sa forme musicale. Je ne peux pas écouter si la musique est mauvaise, les paroles finalement m’importent peu en musique.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Lettres à un jeune poète” de Rainer Maria Rilke.
Quel film vous fait pleurer ?
“Le Lys de Brooklyn” d’Elia Kazan.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Avant, je ne voyais personne, maintenant, je suis là et je me trouve belle, je suis fière de moi.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Pierre Bellemare.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La ville où je finirai mes jours.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Pêle-mêle…Guy de Maupassant, Diane Arbus, Le Caravage, Simone de Beauvoir, Paula Rego, Rilke, John Fante, Vivian Maier, Franz von Stuck, Camille Claudel…difficile de faire exhaustif, je lis pas mal et m’intéresse à beaucoup de choses.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un atelier où travailler (et plus dans mon micro studio).
Que défendez-vous ?
Ma liberté et mon indépendance.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
C’est une tentative éperdue sur laquelle je me suis acharnée une bonne partie de ma vie, y compris sur la question de se donner de l’amour à soi-même… J’ai été très forte à refuser à m’aimer. A partir du moment où j’ai su m’aimer — dans toute ma dimension -, courir après l’amour de l’autre n’a plus été une prérogative à mon bonheur. Le savoir c’est une chose, l’appliquer c’en est une autre. Aller au bout de projets, même des petites choses fait partie du processus d’amour de soi.
Il y a des personnes qui se laissent aimer et qui nous aiment en retour, c’est simple, facile. Elles font attention à ce que nous sommes. Les autres, je passe mon chemin. Je n’ai fondamentalement pas/plus besoin des autres pour vivre. Et finalement, c’est là que tout est devenu simple…
La Création est au centre de toute ma vie, tous mes choix ont découlé de ce besoin. Aussi, les personnes qui ne l’entendent pas, en compliquant la relation inévitablement, disparaissent de ma vie. En même temps, je ne suis pas fan de Lacan (je préfère Jung) trop tragi-comique à mon goût (de plus, il n’assumait même pas son tableau de Courbet L’Origine du Monde dans son cabinet, qu’il cachait derrière un panneau certes peint par G. Bataille, mais bon, c’est suspect pour moi)…
Pour ma part, j’ai toujours su que j’avais des choses à donner, beaucoup, à partager et j’ai toujours cette volonté. Entre autres en étant éditrice et en diffusant le travail des autres. C’est un acte d’amour avant tout.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
C’est ça.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Je ne sais pas.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 28 décembre 2018.