Un bateau est prisonnier des glaces. Un homme nu émerge d’un trou qu’il a creusé. C’est un géant qu’on appelle Hawk parce que Håkan, son prénom, est imprononçable par un Américain. Rhabillé, il suscite la curiosité des autres passagers avec sa cape confectionnée de diverses peaux et d’une tête de lion. Il entreprend, pour un public avide de tout savoir de lui, de raconter sa vie depuis son départ de Suède avec Linus, son frère aîné, pour aller à New York.
C’est à Portsmouth qu’il perd son frère et, incapable de se faire comprendre, prend un bateau pour San Francisco. Dépouillé de son argent pour le passage, il est recueilli par un couple d’Irlandais, James et Eileen Brennan, parti pour la ruée vers l’or. Dans les montagnes arides, il partage leur vie de prospecteurs et leur maigre campement. Lorsque James trouve un filon, il utilise des pépites pour acheter l’indispensable à Clangston. Un groupe, commandé par une femme, les suit et s’empare de la mine. La femme enferme Hawk dans une chambre, au-dessus du saloon et s’en sert de jouet, l’habillant comme une énorme poupée, puis le chevauchant. Les mois passent. Un membre de la bande est battu sur ordre de la cheffe. Pour se venger, il aide Hawk à s’évader. Celui-ci fuit dans le désert en direction de l’Est, en direction de New York retrouver son frère qui, il en est persuadé, l’attend là-bas…
Ce récit se déroule dans le grand Ouest américain entre l’époque de la ruée vers l’or et le début de la guerre de Sécession. Hernan Diaz livre un récit âtre, cruel sur une impossible quête d’un individu tendu vers un seul et unique but, aller vers l’Est, vers l’Eldorado que représente New York.
Si l’auteur utilise nombre des images, des clichés de la Conquête de l’Ouest, avec des caravanes, des embryons de village, la recherche de l’or, les saloons mal fréquentés, il n’écrit pas un western tel que Hollywood l’a présenté, telle que la vision d’un Sergio Léone, en Andalousie, l’a restituée.
Mais il peuple le périple de son héros d’une galerie de personnages attractifs, tous véhiculant un brin de folie, douce ou furieuse. Diaz met le lecteur dans la position où se trouve Hawk, qui ne parle pas l’anglais, qui ne comprend pas autre chose que le suédois. Dans une large partie du récit celui-ci méconnaît ce qui se dit autour de lui. Il voit des gens discuter, échanger, se disputer sans comprendre le contenu des conversations, le sens des altercations. C’est ainsi qu’il assiste, en étranger, à des événements qui le concernent.
Mais, obstinément, il progresse vers son but. Les rencontres se multiplient, bonnes ou mauvaises, enrichissantes en terme de savoir. Le temps ne compte pas. Il est devenu un colosse qui donne naissance à une foule de récits plus ou moins fantaisistes, acquiert une aura légendaire. Il traverse les épreuves sans en saisir les tenants, les aboutissants, les raisons de la situation et le pourquoi des choses.
Mais l’auteur maîtrise son schéma directeur et son texte. Par exemple, venant du nord de la Suède, ayant passé beaucoup de temps sur un bateau : “Il n’avait pas encore appris à redouter les serpents.” lorsqu’il arrive dans une zone désertique, brûlée par la chaleur. Au loin est aussi un récit d’initiation, d’apprentissage. Au-delà du premier degré qui présente l’aventure, ne faut-il pas voir dans ce périple le sort de l’individu à la recherche de l’inaccessible, tendu vers un objectif qu’il ne peut pas atteindre ?
Un récit d’aventures novateur, une suite de péripéties cruelles ou drolatiques font de Au loin, un roman, ô combien !, passionnant.
serge perraud
Hernán Diaz, Au loin (In the Distance), traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Barbaste, Delcourt, septembre 2018, 336 p. – 21,50 €.