Les mémoires d’un ambassadeur constituent pour l’historien une source précieuse qui ne remplace pas les archives mais les complète en lui permettant d’entrer de plain-pied dans le métier de diplomate, d’en connaître les beautés et les travers, la scène et les coulisses.
Ceux de l’ambassadeur Yves Aubin de la Messuzière racontent quarante ans de diplomatie française au Moyen Orient en même temps que la carrière d’un diplomate non énarque, issu du fameux corps d’Orient, un de ces arabisants du Quai d’Orsay parfois décriés.
Orienté politiquement à gauche, défenseur de la ligne diplomatique dite gaullo-mitterrandienne et de la non moins fameuse politique arabe de la France, Yves Aubin de la Messuzière œuvra avec une passion qui ressort de toutes les pages de son livre au rayonnement de la France dans le monde arabo-musulman dévasté par des conflits sanglants.
Il apporte un témoignage capital sur le positionnement de Jacques Chirac – dont le diplomate apprécia l’action – dans la crise opposant l’Irak de Saddam Hussein aux Etats-Unis de William Clinton, ainsi que sur la politique française à l’égard du régime de Ben Ali.
Cela dit, c’est le chapitre consacré à la Direction d’Afrique du Nord et du Moyen Orient qu’il dirigea au début des années 2000 qui nous parait le plus intéressant car il décrit le fonctionnement interne du ministère, les liens avec l’Elysée et son domaine réservé, avec les conseillers présidentiels et le chef de l’Etat lui-même très impliqué, on le sait, dans les affaires proche-orientales et surtout libanaises, avec les autres structures du ministère, avec la presse et les fameux éléments de langages dont le monde diplomatique use lui aussi sans retenue.
Autre apport de ce témoignage, les rapports avec les différents ministres des Affaires étrangères, le degré d’influence qu’ils peuvent exercer sur l’action politique, leur capacité à peser sur les décisions prises à l’Élysée – V° République oblige –, leur investissement dans le suivi des dossiers ou tout simplement leur compétence. Sans surprise, Hubert Védrine et Alain Juppé sortent indemnes du livre, ce qui n’est pas le cas de Bernard Kouchner ni de l’inénarrable Philippe Douste-Blazy.
Quant à la politique de Nicolas Sarkozy, elle ne convainc pas Yves Aubin de la Messuzière, peu enclin à soutenir la politique néo-conservatrice qui domine une partie du Quai d’Orsay actuellement. Yves Aubin de la Messuzière est certes un grand défenseur des droits de l’homme (son investissement en Tunisie le prouve) mais, Dieu merci, il nous évite le droit-de-l’hommisme à la mode qui fait fi des réalités. Comme toute idéologie.
Enfin, tout étudiant aspirant à entrer dans la Carrière devrait lire ce recueil de souvenirs. Il y découvrira le métier de diplomate, son quotidien bureaucratique bien sûr mais aussi ses conflits internes, ses chausse-trappes, ses ambitions et ses jalousies, voire ses dangers physiques ; et surtout son champ d’action dans le domaine politique et culturel (ce dernier comptant beaucoup pour Yves Aubin de la Messuzière qui, dans chacun de ses postes, s’y est investi avec ardeur).
Car ce métier n’a rien perdu de son intérêt, même à l’heure de la mondialisation et d’Internet. Yves Aubin de la Messuzière le démontre avec son souci constant de rédiger des dépêches d’analyse de fond sur le pays où il résidait. Tâche capitale qu’aucun journaliste ne pourra exercer.
En fin de compte, les diplomates sont des artistes dans leur genre, au service de l’art du possible.
frederic le moal
Yves Aubin de la Messuzière, Profession diplomate. Un ambassadeur dans la tourmente, Plon, janvier 2019, 395 p. — 21,00 €.
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Excellent livre passionnant un vrai roman souvenirs partagés avec Yves Albin d une telle amitié lors de notre séjour au Yémen felicitations
Je suis sûr que je vais dévorer ce bouquin qui me rappellera tant de souvenirs personnels de ce métier passionnant, dès que j’aurai trouvé le moyen de me le procurer (pas évident depuis Dakar, mais j’y travaille).