L’oeil du Cyclope
Valéry Molet possède une vision nourrie d’implications lucides et sensorielles. A travers la pluie qui tombe, là où l’odeur des lilas persiste ou encore lorsque tourne la lessive du matin, son oeil écoute. Soudain les mots prennent une force étrange et drôle. Les gouttes qui se collent de la paroi plastique d’un bloc douche, lorsqu’elles rebondissent sur un corps aimé, deviennent des grains voire des “crottes de chauve-souris”.
Et c’est le meilleur moyen d’éviter l’absence ou la perte des traces de certains moments en une série de mains courantes et de maintenances que l’ellipse éponge (à la sortie de la salle de bains mais pas seulement). Les poèmes demeurent imprégnés d’une étrange lumière là où nos animaux intérieurs ne sont pas complètement malades de la peste même si, psychiquement, ils ne sont pas toujours bien portants.
Le titre ironique calqué sur l’inscription des camions bestiaux rappelle qu’il ne faut pas faire de mal aux pauvres bêtes qui nous habitent. Nous faisons avec elles dans notre quotidien. Il n’a rien de grisant mais Valéry Molet le rend presque lumineux comme si la pluie allait bientôt cesser (sauf bien sûr celle de la douche de l’aimé).
Le poète crée une distance continuelle entre sa condition d’humain et la vie pour mieux en souligner les crevasses. Il épelle ce qu’il en est d’étés (pluvieux) ou d’avoir été qu’il s’agit de transformer en être pour ne pas se réduire en hommes de bois. Au milieu de miasmes qui pourraient sembler morbides dans leur répétition, l’auteur intercale des incises, incise des incartades afin d’éviter des écarts suicidaires de conduites forcées.
Pas question avec lui de s’asseoir à la place du mort. Il convient, volant en mains, de sortir de l’impasse du train-train en évitant de mordre autant les lignes jaunes que le toutou pas snob qui ronfle en nous. L’homme - plutôt que de scruter en miroir de sa femme démaquillée ce qu’il devient lui-même - trinque avec elle sur la terrasse du bar de l’Espoir qu’on appelle la vie.
Manière de hanter le bas de soi lorsque le vent soulève la robe de l’aimée. C’est à la fois vivifiant, drôle et magique.
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jean-paul gavard-perret
Valéry Molet, Animaux vivants à l’intérieur, Editions Nouvelles Marges, Lyon, 2019, 70 p. — 9,00 €.