Carol Snow est née en 1949 à San Francisco où elle vit. Elle poursuit une œuvre rare. Son livre Artiste et modèle traverse le réel et la mémoire, la réalité et l’art dans tout un jeu d’échos et de multiples étoilements. Entre le corps des images et le nôtre, la poétesse crée tout un travail de mouvements et de déplacements : tout à la fois s’y concentre et s’ouvre.
Le rapport au monde comme à l’art se développe ici en diverses touches qui palpitent entre le tangible et l’impalpable, entre le quotidien et que ce qu’en révèlent des peintres comme Matisse, Monet, Cézanne, Giotto et plus généralement la « mémoire récurrente » de l’art. Celui-ci dessine des reports où les formes, les couleurs, les personnages se mêlent à la réalité telle qu’elle est.
La poétesse évoque les différentes empreintes du temps, les dérives du réel, la “vérité” de l’art, la vie, la mort. Ils ne sont pas forcément où ils semblent les plus flagrants et en fragrances. A ce titre et par exemple : “Cézanne, penché sur sa toile, aurait maîtrisé /cette vue, pensas-tu : les bleus et les verts / et les ocres du proche et du lointain, cette posture / précaire de la danse, non la réunion / des corps dissemblables, des semblables, mais le maintien / séparé du corps et du sol”.
Et d’ajouter “tu pensais que tu pourrais / devenir ces collines, / ou bien être née de ces collines /ou bien que ton corps /avait été la maquette de ces collines.” Tout est écrit ainsi sans concession au plus près de l’épreuve existentielle et esthétique et reste suffisamment subtil pour faire lever bien des doutes.
Dans la fixité, l’espace est en dérive là où l’image multiplie les points de fuite et d’achoppement. Ondoient — de l’énergie à l’épuisement — l’illusion ou le désenchantement, le jeu du mensonge supposé de l’art et l’évidence du réel. L’œuvre est l’expression, l’observation, la contemplation à la fois d’une résistance, d’une progression, d’une retenue, d’une violence (contenue).
C’est un acte poétique vivant et prodigieux, il vibre du corps céleste et charnel en évolution d’où jaillissent les pulsations retenues de la tension de chair au sein d’auras là où le mystère sensible de la beauté reste irrésolu mais où l’art a plus que sont mot à “dire” ou à montrer.
jean-paul gavard-perret
Carol Snow, Artiste et modèle, traduit de l’anglais (États-Unis) par Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Vignette de Gérald Thupinier, Unes Editions, Nice, 2019.