Ce livre vient compléter Une forêt cachée, qui était consacré aux écrivains oubliés, et où les hommes prédominaient nettement, en évoquant pas moins de 138 femmes de lettres, certaines connues des amateurs de lecture, d’autres qui le furent, et d’autres encore qui ne pouvaient compter que sur Eric Dussert pour sortir de l’obscurité complète.
En lisant leurs portraits, on s’aperçoit vite que l’essayiste ne les a pas toutes choisies pour la valeur de leur œuvre, même si la première figure évoquée, Ono no Komachi, place la barre très haut, faisant partie des “six génies de la poésie“ japonaise de l’époque Heian.
De fait, quelques-unes de ces dames semblent désignées pour nous faire remarquer que l’auteur est un grand ironiste, ou parce qu’elles incarnent telle ou telle sorte d’idiotie typique d’un milieu et d’une époque – par charité, nous ne citerons pas de noms relevant de cette catégorie précise.
D’un autre point de vue, on pourrait dire qu’il y a dans ce recueil des femmes de lettres pour tous les goûts. Et nombre d’entre elles offrent l’avantage d’avoir mené une vie très romanesque, ce qui ajoute de la saveur à l’ouvrage. Ainsi, on découvre avec ébahissement les aventures de Nellie Bly qui a “invent[é] le reportage gonzo et clou[é] sur place Philéas Fogg“ (p. 147) en faisant le tour du monde en 72 jours, ce qui n’est pas grand-chose, comparé à d’autres exploits de la susdite. Dans un tout autre genre, on n’en revient pas de la malchance continuelle, jusque post mortem, de Charlotte Chabrier-Rieder, et l’on se demande si la phrase où Dussert se propose de la consoler (p. 159) est restée incomplète involontairement ou par malice – quoi qu’il en soit, il en ressort un effet de guignon sans pareil. Une autre malchanceuse, fascinante à sa manière, la chanteuse clocharde Lil Boël, fut surnommée « la Madone » par ses compagnons de misère (p. 343), bien que sa poésie fût plutôt réaliste…
Parmi les cas les plus fascinants, y compris par leur écriture, il faut citer Sabine Sicaud, morte à quinze ans, et Adrienne Savatte, toujours vivante, dont les poèmes cités par Dussert nous font enrager de ne pas disposer de leurs œuvres complètes. S’il y a des éditeurs qui lisent ces lignes, je les conjure de faire le nécessaire.
Un grand merci à l’érudit de nous avoir présenté aussi Myriam Harry, Marie-Louise Haumont, Antonia Pozzi, et de nous avoir rappelé les mérites d’Inès Cagnati et de Jeannette Winterson, parmi d’autres femmes de lettres remarquables. J’allais oublier Marie von Ebner-Eschenbach, à qui l’on doit des aphorismes dont celui-ci : “Une femme intelligente a des millions d’ennemis naturels : les hommes bêtes.“ (p. 115).
Cet excellent ouvrage donne envie de lire au plus vite un troisième volume consacré aux “caché(e)s“. Je suggère à Eric Dussert d’y inclure deux romancières que j’ai connues par leurs publications aux éditions du Revif : Véronique Sales et Denitza Bantcheva.
agathe de lastyns
Eric Dussert, Cachées par la forêt, La Table ronde, octobre 2018, 576 p. – 22,00€
Merci pour votre lecture judicieuse et pour vos conseils de lecture : je vais aller voir du côté des éditions du Revif, d’autant que le titre de La Traversée des Alpes, de D. B., m’était déjà arrivé aux oreilles.
Cordialement
E. D.
Merci de votre message, cher confrère. N’hésitez pas à me faire parvenir vos nouvelles publications, je les recenserais volontiers. Quant aux conseils de lecture, j’espère que vous allez apprécier l’écriture de ces deux romancières, dont on parle trop peu à mon sens.
Cordialement,
Agathe de Lastyns