Celle qui s’accorde le droit de se laisser dévorer par ses rêveries sans se faire ennuyer, entretien avec Audrey Matt Aubert

Quoique rêveuse, Audrey Matt Aubert (©Adrien Thi­bault) pos­sède une culture consé­quente et une belle luci­dité sur les exi­gences que néces­site le métier d’artiste. Choi­sir comme un de ses modèles Rem Kool­haas (celui de “New York Délire” comme du pro­jet pour Wel­fare Island) situe bien la dimen­sion intel­lec­tuelle et plas­tique d’une telle créa­trice. A tra­vers ses struc­tures et mon­tages se retrouvent bien des choses et des vues que beau­coup laissent sur le bas-côté de l’existence comme du monde.
Cela per­met de sai­sir quelques élé­ments du secret de l’art et de ses fon­de­ments. A chaque spec­ta­teur d’en faire l’usage qui lui plaira… Ni absurde féli­cité ni abus de confiance, l’oeuvre d’Audrey Matt Aubert ne cesse de créer des sur­prises aussi objec­tives que sub­jec­tives. Elles sou­lèvent le monde sans s’en déta­cher. Par elles sur­git l’adhérence étroite entre ce qui est et ce que nous igno­rons, entre les appa­rences et leurs fondements.

 

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’idée de pas­ser mon temps à peindre ou des­si­ner au Hou­loc, l’atelier col­lec­tif où je tra­vaille avec plein d’autres copains.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Enfant, je vou­lais entrer à l’école des Beaux-Arts de Paris pour y apprendre la pein­ture aca­dé­mique. J’ai passé le concours et été admise en 2010, puis diplô­mée en 2015. Fort heu­reu­se­ment mon par­cours aux Beaux arts n’a pas eu grand chose à voir avec l’image d’Epinal que je m’en faisais.

A quoi avez-vous renoncé ?
Mon enga­ge­ment actuel m’amène à renon­cer à la forme de confort de vie qui consiste à se dire que, quand on rentre chez soi, on rac­croche le tablier. Par­fois, je rentre chez moi et une toile que j’ai com­mencé à peindre quelques heures plus tôt peut conti­nuer à m’obséder pen­dant des heures.

D’où venez-vous ?
D’un vil­lage à une demi-heure en voi­ture de Giverny, les pre­mières pein­tures que j’ai donc décou­vertes, enfant, sont celles des impressionnistes.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Je ne suis pas mariée !

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Un carré de chocolat.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Il fau­drait leur deman­der à eux !

Com­ment définiriez-vous votre approche des struc­tures et de l’architecture ?
Enfan­tine, c’est-à-dire qui aime­rait tenir l’architecture ou la struc­ture dans le creux de la main.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
La toile “Un Bar aux folies Ber­gères” de Manet pour la grande sub­ti­lité avec laquelle Manet peint la coupe en verre et les man­da­rines. Il suf­fit à Manet de quelques touches pour pla­cer la lumière et rendre le modelé sans figer la com­po­si­tion. Les reflets des man­da­rines sont abso­lu­ment fabu­leux, ce détail est à lui seul une vraie leçon de peinture.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Nadja” d’André Breton

Quelles musiques écoutez-vous ?
En ce moment même “ Miles Runs the Voo­doo Down” de Miles Davis

Quel est le livre que vous aimez relire ?
New York Délire de Rem Kool­haas pour sa des­crip­tion des pre­miers parcs d’attraction de Coney Island (Stee­ple­chase, Dream­land, Luna Park) mais aussi pour son abra­ca­da­bran­tesque pro­jet pour Wel­fare Island.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Moi, Daniel Blake” de Ken Loach

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
La ques­tion est “tri­cky”, est-ce qu’on a vrai­ment envie de se défi­nir quand on se regarde dans un miroir ?
De plus, lorsqu’on se regarde c’est au réveil le matin dans sa salle de bain, ce qui ne dresse pas non plus le por­trait le plus flatteur…

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Il me semble avoir sur­monté ce genre de peur.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Plu­sieurs mais comme je la men­tion­nais pré­cé­dem­ment : la ville de New York

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Là, en ce moment, la pein­ture de Gior­gio de Chi­rico, la sculp­ture de Bran­cusi et les textes d’André Bre­ton. Je ne sais pas si cela me confère une proxi­mité avec ces artistes pour autant.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
J’ai fêté mon anni­ver­saire il y a peu et j’ai reçu un livre sur l’histoire de l’architecture post­mo­derne : “Revi­si­ting Post­mo­der­nism” par Sir Terry Far­rell et Adam Natha­niel Furman

Que défendez-vous ?
La pos­si­bi­lité de se lais­ser dévo­rer par ses rêve­ries sans se faire ennuyer.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Mieux vaut être per­suadé du contraire, per­suadé d’avoir en soi de l’amour à don­ner aux autres. Si, comme le dit Lacan “la mort est du domaine de la foi”,  alors l’amour se doit de l’être également.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Dans une inter­view on en apprend par­fois plus sur celui qui pose les ques­tions que sur celui ou celle qui y répond, pas vrai ?

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Quels sont mes futurs pro­jets par exemple ? Mais j’imagine que ce sera l’objet d’une autre interview ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 10 jan­vier 2019.

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