Baptiste Delhauteur : roses de personne
L’auteur ne cherche pas à caresser son lecteur dans le sens du poil : “Vous m’êtes tous étrangers. Il n’est que mon Amour que j’admette à partager ce qu’il convient de dire, ce qu’il convient de penser, justement, au sujet des mots et puis au sujet des choses. Et puis, il ne fait pas assez noir autour de nous. Remédions à cela. Nous donnons au monde trop de clarté.”
Dès lors, l’auteur opte pour une juste mesure. Il refuse d’être l’optimiste qui se noie dans un verre à moitié plein et le pessimiste dans un autre à moitié vide.
D’où cet exercice, entre l’ombre et la lumière, le rêve et le cauchemar, là où tout, finalement, ne s’émettra que sous l’ordre de l’écharpe ou du filet de voix adressé à quelqu’un, à tous, à personne en ce qui tient d’un soliloque. Celui-ci rebondit sur les rideaux d’un lieu clos pour faire sourdre une autre voix méconnaissable bien que connue, celle de Rilke.
Delhauteur évoque ce qu’il nomme “une petite prose, pourtant toujours absente de toutes les éditions courantes (…) extraite de carnets de notes dont on ne connait que deux indices vieilles de 80 ans”. Et l’auteur d’ajouter : “ces quelques mots ne sont que la répétition insistante d’un questionnement lisible tout au long des vingt-quatre petits tableaux des Roses, dont ils sont contemporains.”. Là encore le songe n’est pas loin. Rilke trouvera-t-il en ces roses un peu de rouge sang lui permettant de survivre “yeux clos sur le sommeil des multitudes enterrées au cimetière ?”
Ces quelques mots égarés ouvrent-ils à une révision de l’oeuvre ? Non sans doute car la disparition est la condition insécable de la condition humaine. Avec le temps, celle-là est de plus en plus plurielle segmentée sous couvert de mondialisation. Néanmoins, des roses imaginaires et leur lumière dense demeurent afin que nous cheminions encore.
La poésie qui s’adresse aux aimé(e)s est écrite pour que nous les rejoignions. Il s’agit de sentir leur présence, de les retenir au-delà du temps par effet de présent ou de rêve. La poésie est donc une question de chaleur qui n’est pas seulement ambiante. Elle est l’appel renouvelé au fait d’être vivant. Elle est aussi hommage à l’existence de l’autre même si, en elle, dans demeure l’égoïsme d’un repli sur soi.
C’est le passage obligé fait de solitude, de silence, de présence « in abstentia ». Il altère sans doute ce partage mais comment procéder autrement ?
jean-paul gavard-perret
Baptiste Delhauteur, Inadvertance & La stèle de Rainer Maria Rilke, Maison Dagoit, Derrière la salle de bains, Rouen, 2018 — 12,00 €.