Gwyneth Baines dérange le bel ordonnancement des villes. Le retrait des présences humaines les dépeuple. Il n’y a plus de communauté, plus de vie civile mais ce n’est pas la nature pour autant. Le dépaysement se fait dans le suspens de la présence. Mais c’est reculer pour mieux sauter : dans ses (auto?)portraits de nus, l’artiste “se venge”. Hors diégèse, le corps orphique et sensuel est le seul maître. C’est comme si un tout à l’ego dépeuplait le monde pour l’approfondir en sa tendre indifférence.
Gwyneth Baines, Perspectives, Espace Vaugelas, Aix les Bains, du 7 janvier au 16 février 2019.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La vie. La lumière. La passion et la chance que j’ai. Le dessin ou tableau que j’ai commencé la veille.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je n’y ai jamais renoncé et je les vis actuellement.
A quoi avez-vous renoncé ?
A la culpabilité et à la pression d’être conformiste. Et c’est libératoire.
D’où venez-vous ?
De loin je crois, dans plusieurs sens, sur plusieurs chemins et de plusieurs directions.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Des questions et des doutes et j’apprécie.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Une grande tasse de thé le matin dans le silence dans mon atelier
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je ne sais pas.
Comment définiriez-vous votre approche du portrait et du paysage ?
J’ai du mal à définir mon approche. Je travaille à partir de photos la plupart du temps et dans l’intimité de mon atelier car je n’aime pas qu’on m’observe quand je crée. Le moment d’inspiration ou le choix de la photo peut être la lumière ou souvent une perspective pour un paysage, et un regard ou un moment capturé dans le temps pour un portrait. Ensuite, le plaisir de la matière prend le relais — fusain, huile, pastels. Certains tableaux sont “paint themselves” mais d’autres demandent beaucoup de réflexions et de décisions douloureuses. Il n’y a pas de règles.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Quand j’étais très jeune j’insistais pour que ma mère passe devant une énorme usine (gasworks) pour aller au parc avec mes frères. Je piquais une crise dans la poussette si elle prenait une autre route. Je la vois toujours dans des tuyaux tordus, un monstre qui respirait de la vapeur, un monde sombre et bruyant (un peu Mad Max), et j’étais fascinée. Je le suis toujours.
Et votre première lecture ?
J’ai toujours lu, dont les classiques anglais quand j’avais 11 ou 12 ans. Première lecture, j’aurai du mal à dire mais lire est essentiel pour moi. Lire me nourrit en images et imagination.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Je suis assez éclectique. Je peux écouter des Sevillanas qui me font penser aux moments que j’ai passé avec mon frère en Espagne, aussi bien que la passion de St Mathieu (surtout avec Kathleen Ferrier pour la pureté de sa voix) mais aussi les Rolling Stones pour me rappeler mes années aux Beaux-Arts à Londres. Et également de la musique classique, opéra, blues , jazz, musique contemporain, rock, traditionnelle — Indienne, Fados Portugais, Roumaine .…. ce serait plus facile de dire ce que je n’écoute pas.…..
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Patrick White :The Vivisector, histoire d’un artiste. J’ai adoré ce livre pour ses descriptions du processus de peindre et plusieurs années après, j’ai découvert totalement par hasard l’artiste qui a inspiré le livre. J’ai reconnu ses tableaux. Le rapprochement du texte et de la peinture…
Quel film vous fait pleurer ?
Mes enfants se moquent de moi car je pleure tellement souvent pendant les films. Les films qui me marquent le plus sont des films dans lesquels je ne pleure pas ! Ceci dit, la scène finale dans The Third Man de Orson Welles quand Alida Valli marche droit et passe devant Joseph Cotton sans s’arrêter me donne toujours un frisson.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un que je connais et quelqu’un que je ne connais pas et dont je ne connais pas l’avenir.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A mes parents.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
N’importe quel lieu sous la pleine lune et dans le silence.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Récemment Leon Kossof, peintre anglais, surtout ses “London drawings” de Arnold Circus et ses peintures de Willesden Junction, mais bien sûr ça va changer
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un cadeau. Voir quelqu’un ou recevoir un appel de quelqu’un qui habite très loin et que je ne vois pas souvent.
Que défendez-vous ?
Le droit d’être accepté malgré les différences.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
C’est la tâche de l’artiste et un artiste ne sait pas ce qu’il a à donner ni à qui.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
J’adore. C’est très philosophique. C’est important d’être ouvert à toute sorte de possibilités.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Je ne sais pas. Ma couleur préférée ? (et la réponse est : j’aime toutes les couleurs.)
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 2 janvier 2019.