Souffleur de mots, passeur de vies : entretien avec Christian-Edziré Dequesnes (Aux robes de Rimbaud)

Pour Christian-Edziré Dequesnes la poé­sie s’écrit comme elle se dit : dans un souffle. Mais pas n’importe lequel : celui qui vient de Rim­baud, Dylan Tho­mas et qui a été relayé par Lou Reed, Kerouac, Jérôme Rothen­berg, Pierre Gar­nier, Dusan Matic,  et Ch’Vavar. Bref, chez ceux où un sens musi­cal vient malaxer, engor­ger, gêner la flui­dité facile et déréa­li­sée du sens.
Ecrire ou défendre des auteurs tient pour Dequesnes d’un enga­ge­ment “poli­tique” mais aussi phy­sique, pul­sion­nel jusqu’à décou­vrir “l’objet-même” absent de tout poème mais qui ne peut être trouvé que par lui face aux figures du monde que cet objet pul­vé­rise. La poé­sie n’est donc rien d’autre que ce peu de chose qui fait tout : “Un souffle autour de rien”, selon Rilke, “Ema­na­tions, explo­sions”, selon l’ultime Rim­baud, ou et plus pro­saï­que­ment “le péto­mane” selon Prigent.

D’où chez Dequesnes la lutte inces­sante contre l’asphyxie des langues que l’usage com­mu­nau­taire pol­lue. La poé­sie émet com­ment souffle ce souffle et l’auteur engage une course de vitesse contre la fer­me­ture sta­bi­li­sée des signi­fi­ca­tions qui ne donnent du monde que des chro­mos. Dequesne est donc autant l’homme ins­piré par ce qui le che­ville que celui qui res­pire, qui souffle en une suite de glis­se­ments, d’ ondes et de mou­ve­ments syl­la­biques corpusculaires.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? -
Le plai­sir d’écouter un disque, d’entendre de la Musique que je ne connais pas for­cé­ment et de savoir alors que j’ai encore tant de choses extra­or­di­naire à découvrir.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
J’ai pu en réa­lisé beau­coup ! Je vou­lais faire comme Ulysse un long voyage et, là, depuis moins d’une année, je suis de retour à Douai qui est mon Ithaque et Péné­lope m’attendait ! À Douai, j’y suis né !? J’y habite prés de la rue de l’Abbaye des Prés, là ! Où Arthur Rim­baud chez les Mlle Gindre… Douai, là ! Où les deux Lettres du voyant pos­tées de Paris sont arri­vées… à Douai.

A quoi avez-vous renoncé ?
À conti­nuer à vivre aux côtés de Circée.

D’où venez-vous ?
Je suis né à Douai, un dimanche de ducasse popu­laire (fête foraine) et j’ai poussé dans des quar­tiers pro­lé­taires et miniers du grand douai­sie (Lambres-les-Douai, Sin-le-Noble.)

Qu’avez-vous reçu en dot ?
La Dignité d’Arthur Duquesnes mon père qui a été un Homme cou­ra­geux toute sa vie. L’Amour mal­adroit de ma mère qui été maman dévouée au foyer, le goût des livres et de la musique de par ma Grand-Mère, Made­leine, qui m’a acheté mes pre­miers bou­quins et 45 tours ; puis l’alliance de mon Grand-Père Théo, il était menui­sier, que je porte à ma droite.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Décou­vrir une musique que je n’ai jamais écou­tée : “La Musique ! le reste c’est de la littérature.”/Paul Ver­laine, cela est quo­ti­dien. Moins quo­ti­dien mais le plus sou­vent pos­sible, un grand plai­sir, mes cinq petits enfants.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Que je ne suis pas un écri­vain. Je suis, je crois, un souf­fleur de mots, un pas­seur de mo®ts ; enfin je me res­sens de la sorte.

Com­ment définiriez-vous votre approche du tra­vail d’animateur de revue ?
Trans­mettre ! Je fais de “pauvres” pério­diques pour trans­mettre les mots, des tra­vaux et les émo­tions de per­sonnes connues, d’autres moins ou peu connues, puis cer­taines incon­nues mais qui me touchent par leur pro­fonde humanité.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
La force du Cap Gris-Nez entre Calais et Boulogne-sur-Mer.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Mes pre­mières vraies lec­tures, des trois livres dans des col­lec­tions jeu­nesse que m’a offert Mémé Made­leine, L’Iliade, L’Odyssée et Les Che­va­liers de La Table Ronde. Des épo­pées ! Puis quelques années plus tard, en cm2, par le biais d’un ins­ti­tu­teur, Mon­sieur Caf­fiaux, Les Effa­rés d’Arthur Rim­baud — alors là ! Même si je n’ai pas tout com­pris tout de suite… J’ai tout lu ! Et vite !

Quelles musiques écoutez-vous ?
En ce moment, un très vieux 33 tours de Swett Emma Bar­rett ” Sweet Emma The Bell Gal & Her New Orleans Jazz Band Heri­tage HALL. J’écoute vrai­ment un maxi­mum de Musiques et vrai­ment tous les styles. Chez moi, il y a des disques par­tout et dans toutes les pièces , plus que des livres pour­tant j’ai énor­mé­ment de bou­quins ! Mais ce que j’écoute vrai­ment le plus c’est du blues, le vieux blues ! C’est à cause d’Arno, Arno Hint­jens le fla­mand bleu d’Ostende, que j’ai ren­con­tré en 1981 et que je vois encore. Il m’a dit d’écouter Willie Dixon… puis je suis le blues et c’estdevenu une pas­sion.
Les plus grand blues­men sont vrai­ment des poètes d’un “genre” nou­veau… J’adore Skip James, Hound Dog Tay­lor et bien sûr Arno qui est avant toute chose un blues­man. Il y a aussi les fabu­leuses chan­sons de Kon­rad Schmitt de la “constel­la­tion” Ivar Ch’Vavar mais Kon­rad Schmitt n’a même pas conscience qu’il est blues­man, entre autres car il a écrit aussi et peint mais il ne fait plus rien depuis presque 40 ans envi­ron mais il existe, il est veilleur de nuit !? J’ai édité Pages Choi­sies de lui.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Un beau et grand livre que j’ai perdu, on me l’a emprunté mais jamais rendu :  “Contes et légendes des Indiens d’ Amé­rique du Nord” mais depuis 20 ans je me console en reli­sant “Les tech­ni­ciens du sacré” de Jérôme Rothenberg.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Une cer­taine ren­contre” de Robert Mul­li­gan avec Natha­lie Wood et Steve McQueen. J’ai une pas­sion pour Steve McQueen qui pour son extra­or­di­naire sens du silence à l’écran.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un gamin, enfant de Gayant*, qui est devenu vieux avec une barbe, des joues creu­sées et un regard que Péné­lope adore.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À per­sonne ! Quand j’ai écris à Ivar Ch’Vavar, il m’a répondu et très vite on est devenu ami. Pierre Gar­nier m’a écrit avant que je lui écrive et Jean-Jacques Bur­nel de The Stran­glers (j’adore ce groupe) m’a envoyé une carte pos­tale que je conserve pré­cieu­se­ment. J’ai écris à Michel Pol­na­reff (le tout pre­mier chan­teur que j’ai adoré, Ah ! Le bal des Lazes !) et il m’a répondu par une simple mais belle lettre (j’étais encore un gamin). Arno, je n’ai jamais eu besoin de lui écrire ! CELA c’est passé en direct… de la main à la main et c’est comme avec John Cale, de même que Lou Reed j’ai un livre, The Raven d’Edgar Alan Poe, signé par lui. Là, je désire écrire à Emma­nuel Macron et je crois que je vais oser !
S’il y a un Homme a qui je désire vrai­ment écrire, c’est Pete Town­hend de The WHO ! Car j’estime que sur les plans aussi bien musi­caux que des textes de ses chan­sons, il est génial. MY GENERATION est une chan­son de jeu­nesse pure­ment extra­or­di­naire ! Il n’y a qu’Arthur Rim­baud qui aurait pu écrire une telle mer­veille ! Puis il y a un autre Homme dont je désire avoir adresse pour lui écrire per­son­nel­le­ment c’est Bruno Dumont ; son oeuvre ciné­ma­to­gra­phique, c’est de la grande lit­té­ra­ture sacrée et Mary­line Ali­gner dans son livre L’animalité et la grâce en moins de 130 pages nous met  dans cette évi­dence du sacré de l’écriture de Bruno Dumont.
En livres de che­vet, je pos­séde les scripts/dialogues des films La vie de Jésus, L’Humanité et P’tit Quin­quin, j’en relis sou­vent des pas­sages et CELA me secoue tou­jours autant. Hors Satan est mon film pré­féré de Bruno Dumont et je rêve d’avoir le script/dialogues en livre… Oui, je désire écrire à Bruno Dumont.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La ville, c’est Car­diff ! Les lieux la baie & le petite cime­tière à cause de Dylan Tho­mas. En Flandre belge, il y a prés de Ypres un petit cime­tière où reposent deux poètes, Hedd Wyn le Gal­lois & Fran­cis Led­widge l’Irlandais, ils sont morts tous les deux le même jour de juillet, durant la der des ders, au court de l’offensive de la ter­rible bataille qui n’a servi à rien ! de La Val­lée des Pas­sions. Ils ne se connais­saient pas et se retrouvent qua­si­ment enter­rés l’un à côté de l’autre. Je vais sou­vent me recueillir là car ils me trans­mettent de la Force.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Lou Reed me “parle” beau­coup car c’était un sacré voyeur/voyant. Dylan Tho­mas de par sa nou­velle “Le bébé qui crie” me touche énor­mé­ment et son poème “Dans mon métier, mon art morose” je me dis à chaque relec­ture que c’est exac­te­ment pour CELA que j’écris, idem quand je relis “Don­nez moi” du poète Serbo-Croate Dusan Matic. Sinon Ivar Ch’Vavar est pour moi un père spi­ri­tuel et Arno un grand frère et je suis proche d’eux, j’en mesure la chance.
Je me sens proche aussi du Jack Kerouac de Big Sur, son meilleur roman pour moi, et de lui j’adore son livre post­hume de poé­sie Dharma. Enfin, à chaque fois que je relis le polar, mais est-ce un polar ? Dans la brume élec­trique avec les morts confé­dé­rés de James Lee Burke, je me sens proche de ce der­nier et pour­quoi ? Je n’en sais fou­tre­ment rien mais ce polar et pour moi un roman arthu­rien et tel­le­ment épique. Chez James Lee Burke, les des­crip­tions des pay­sages phy­siques et psy­chiques, c’est comme chez Vic­tor Hugo. Ah ! Les Misé­rables

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Mon livre perdu : “Contes & indiens d’Amérique”.

Que défendez-vous ?
Mes fils et mes petits enfants. L’enfance d’une manière générale.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
J’en ai fait l’expérience et j’en conclus que Lacan en disant ça ne dit RIEN ! Ce genre d’assertion vrai­ment énon­cée à l’emporte-pièce et sans preuve, c’est le propre d’ailleurs de l’assertion, que l’on soit Lacan ou un autre c’est pure­ment de la “dé-pensée” ou popu­lai­re­ment de ” la bran­lette intel­lec­tuelle” qui ne repose sur rien d’empirique et, ce qu’il me semble, jamais Freud ne s’est per­mis mais je ne suis pas un spé­cia­liste de ce genre que le bon sens popu­laire désigne comme de l’imbécilité et encore je demeure poli. Arthur m’a donné une cer­taine édu­ca­tion prag­ma­tique et pleine de bon sens.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Qu’en d’autres termes, c’est une réci­dive de la ques­tion que vous m’avez posée pré­cé­dem­ment — donc vous connais­sez ma réponse.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Celle que vous m’avez pas, avec conscience ou non, jus­te­ment posée et qu’il convient peut-être de consi­dé­rer comme un acte man­qué !?  Peut-être, pour­quoi je suis passé de Désiré de Christian-Edziré… et encore pour­quoi la G.P.M ? La Grande Picar­die Mentale.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-Paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 29 décembre 2018.

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