Celui qui ne “dégotera […] jamais festin plus plénier à l’heure si peu apéritive du petit-déjeuner” : entretien avec David Besschops (Placenta)

David Bes­schops vou­drait faire croire qu’il manque d’humour. Son entre­tien comme son oeuvre s’inscrivent en faux contre une telle absence. L’ironie est sa tasse athée. Elle rend ses fins de moi moins dif­fi­cile. Elle donne à son rock dans son bun­ker un riff de rires en rafales. Déchi­que­tant la langue comme un tou­tou en rien snob le fait d’un oreiller, il empêche tout lec­teur de s’endormir dans des lits de ratures. Vété­ri­naire à sa façon, il met (méta­pho­ri­que­ment) la main dans le cam­bouis pour créer des insé­mi­na­tions arti­fi­cielles de la langue mater­nelle afin qu’elle enfante du monstre.


Poly chi­neur en mul­tiples tiroirs et autres ori­fices, il pro­pose des annales musi­cales dont le Ré soit-il mineur n’est jamais mou­lant. Un tel babil guette (et pas seule­ment à la Silly Conne Val­lée) le sexe et ce qui va avec pour créer un inceste. L’auteur ignore tout coï­tus inter­rup­tus. Il ne le pra­tique pas for­cé­ment nu mais sa lit­té­ra­ture, tel un habit sale, mani­feste une appé­tence pour tout ce qui s’oppose à la dis­tinc­tion officielle.

Néan­moins, il en cultive une : celle qui donne à l’écriture moins un coeur pha­né­ro­game qu’une visi­bi­lité à ce que d’aucun esti­me­ront indé­cence mais où, en son inti­mité, se sépare une autre inti­mité, se forme une force et où un autre même se détache du même pour être soi-même.

entre­tien dédié à Rémy Dis­dero par David Besschops

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’expectative d’ébahir un par­terre de lycéennes en lis­sant de mes doigts le plu­mage d’une tour­te­relle, sur le trot­toir devant leur école, quelques dix minutes avant que le savoir les appelle. C’est une acti­vité que je pra­tique main­te­nant depuis douze ans. Plus que de ne pas m’en las­ser, j’en suis devenu com­plè­te­ment accroc. Il n’y a pas de petites pas­sions. Sur­tout lorsqu’elles se situent en aval de la lit­té­ra­ture. Puisque, de noto­riété publique, la main qui suit, de la tête à l’extrémité de la queue, le des­sin d’un oiseau éprouve régu­liè­re­ment le besoin de se trem­per dans l’écriture comme un pous­sin res­sent celui de plon­ger sa tête dans la man­geoire à farine puis dans son bac à eau (et vice-versa). Il s’agit donc ici d’un sys­tème de vie plé­nier et dont la per­ti­nence créa­trice n’est plus à démon­trer.
Par ailleurs, cette habi­tude a la par­ti­cu­la­rité de convo­quer mes cinq sens. À savoir que, alors que je sou­pèse pla­ci­de­ment d’une main la cha­leur du vola­tile et que l’autre en sou­ligne le contour, mes yeux s’emplissent de la ges­ti­cu­la­tion faciale des gamines dont les salives par­fu­mées de pâtes de fruits ou de gommes à mâcher assaillent mes narines tan­dis que des cla­que­ments d’hévéa et de man­di­bules me hérissent le poil et enclenchent la néces­sité presque immé­diate de subli­mer la ten­sion qui avive mes par­ties hon­teuses. Ensuite, l’atteinte d’un ravis­se­ment kines­thé­sique véri­table doit assu­ré­ment s’apparenter à une chan­son de geste dans une cami­sole de force. Prouesse esthé­tique peu cou­rue, faut-il le rap­pe­ler ? C’est pour­quoi, la tête appuyée contre la paroi mate­las­sée d’un de mes quatre lits bizar­re­ment à la ver­ti­cale, je me demande jour après jour si je dégo­te­rais jamais fes­tin plus plé­nier à l’heure si peu apé­ri­tive du petit-déjeuner.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils m’attendent dans un bun­ker enfoui à huit mètres sous la croûte ter­restre. Je les y rejoins avec constance et veille à ce qu’ils ne manquent de rien. Ils s’épanouissent, certes loin du soleil. Mais je les aime bla­fards. D’ailleurs, ils me séduisent à un point tel que j’ai eu des reje­tons avec cer­tains. Aussi s’éduquent-ils entre eux loin de la cor­rup­tion répé­ti­tive et bru­ta­liste de la cité des hommes. Der­niè­re­ment, je suis devenu l’heureux père d’un petit vélo sans selle qui, dès la nais­sance, s’est mis à zig­za­guer dans l’entresol de la case­mate avec une féro­cité qui n’avait d’égale que la joie de ses parents. Sa mère, une girafe en caou­tchouc (l’amour, c’est tel­le­ment mou !), s’est lais­sée bien­veillam­ment gref­fer des seins d’ébénistes que j’avais cha­par­dés à la sur­face. Depuis lors, elle allaite notre mar­mot d’un jus de buis qui lui assure un déve­lop­pe­ment opti­mal du gui­don, qu’il a de plus en plus proche du nez. Hal­le­lu­jah !
Il va de soi que pédo­phi­lie bien ordon­née com­mence par soi-même mais que je n’aurais pas acquis de tels moyens d’autosatisfaction si j’étais resté pri­son­nier du cir­cuit court de la bien­séance locale ou des nau­séa­bonds fais­ceaux de croyances de mes contem­po­rains. C’est pour­quoi j’ai fait un trou dans mon pré­sent pour rejoindre une époque de mon être plus pro­pice à la frui­tion et à des formes pri­mi­tives de spon­ta­néité sen­ti­men­tale. À ceux qui argue­ront que la den­sité consan­guine ne per­met pas à la plé­ni­tude de flot­ter, je répon­drai que tout est ques­tion de niveau, leur rap­pe­lant qu’en alti­tude, l’eau bout à moins de cent degrés et que, par consé­quent, les pro­prié­tés de la consan­gui­nité itou sont modi­fiées lorsqu’elle a lieu huit mètres sous terre.

A quoi avez-vous renoncé ?
Si j’avais de l’humour, je vous répon­drais que j’ai renoncé à taguer des bus dans les abris-bites. Mal­heu­reu­se­ment, l’humour est une dis­ci­pline qui me fait presque aussi « cruel­le­ment défaut » que les lieux sus­men­tion­nés. Pour­tant, et ça n’est pas à vous que je vais l’apprendre, les hommes lais­sés en rade par les trans­ports, quels qu’ils soient, ont autant besoin du pre­mier que des seconds. Soit. Dans mon chef, cette carence, qui ne m’honore pas, m’oblige à des décla­ra­tions moins fan­fa­ronnes que pro­saïques.
Aussi admettrais-je avoir aban­donné l’illusion que la paru­tion d’un livre me pro­té­ge­rait des mois obs­curs, du vent et du gré­sil ou d’une intem­pé­rie plus las­sante et belge que por­tant maté­riel­le­ment à conséquence.

D’où venez-vous ?
Je des­cends de mon arbre généa­lo­gique à l’instant. Je viens de l’élaguer et tailler (un peu tard dans la sai­son, il est vrai. Enfin, avec le chan­ge­ment cli­ma­tique et cætera).

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Je suis quel­conque, je veux des grattes dans mon bas de caisse, comme tout le monde. C’est pas parce que je me démarque que je n’ai pas le droit d’être griffé moi aussi !

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Le sein mater­nel. Enfin, il a fait long feu puisque, pour être hon­nête, je viens de réus­sir à m’en sevrer grâce à un sub­sti­tut très effi­cace pres­crit par mon méde­cin de famille : le cigare.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Mon obses­sion pour me sai­sir de la langue tel un chiot qui plante ses jeunes crocs dans un nou­nours et le secoue dans sa gueule, le déchi­quette, en épar­pille le rem­bour­rage, en met par­tout. Je veux en mettre par­tout ! Qu’on retrouve des mor­ceaux du rem­bour­rage de la langue, autre­ment dit de sa tapis­se­rie de repré­sen­ta­tions col­lec­tives, dans des endroits et des états, inattendus.

Com­ment définiriez-vous votre humour livresque ?
De par la com­plexité de ma nais­sance, j’ai un bras dans la vache jusqu’à l’épaule. Cela entraîne une posi­tion d’écriture assez sin­gu­lière. Ima­gi­nez. Contraint de res­ter debout der­rière un bovin aux ori­fices fumants, il est bien entendu inen­vi­sa­geable de poser devant quelque pupitre que ce soit. En effet, ledit pupitre se trou­ve­rait alors sous le pos­té­rieur de la bête, qui aurait tôt fait de l’envoyer val­din­guer d’une ruade. Cela induit donc d’écrire à cent quatre-vingt degrés du cul de l’animal. Son­gez à la contor­sion. L’humour s’en res­sent.
En syn­thèse, et en regard de ce qui pré­cède, je vous répon­drais que mon humour se trouve dans la vache jusqu’à l’épaule. Le reste, c’est du sérieux.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Elle est double : d’un côté, un homme qui hélait ses six mômes pour qu’ils l’observent en train d’enfoncer une chi­po­lata (cuite) dans le rec­tum de son épouse vêtue d’un tee-shirt à ras du con et pen­chée sur une machine à les­si­ver et de l’autre, une jeune pun­kette pres­sant de l’index l’abdomen d’un papillon en train de vole­ter contre une vitre un dimanche de sai­son des pluies vers seize heures sous les Tropiques.

Et votre pre­mière lec­ture ?
À l’instar de Woody, j’ai com­mencé par la seconde : “Poil de Carotte”.

Quelles musiques écoutez-vous ?
À moins que vous n’entendiez par musique le chuin­te­ment d’un sang aimé qui s’infiltre par-dessous une porte ou le ploc-ploc-ploc assourdi d’une poi­gnée de gro­seilles dégrin­go­lant une cage d’escalier, auquel cas je vous aurais répondu que j’ai des goûts d’un clas­si­cisme à périr, je ne crois pas plus en la musique qu’en un quel­conque dieu : la musique n’existe pas. Encore moins cette musique qui se pare du masque d’un titre, d’un style ou de points de repères sur une pochette de disque comme les rivières sur une carte hydro­gra­phique.
Car, même si j’aime faire trem­pette, il est hors de ques­tion pour moi de m’adonner avec la foule à des bains de jazz ou de rock pen­dant qu’un jazz­man ou un rocker prend un bain de pieds dans la foule à laquelle j’appartiendrais, le cas échéant. Qu’ils aillent tous se faire foutre ! Par contre, je conçois l’existence d’agencements de sons, pro­duits soit par des voix soit par des outils (dits ins­tru­ments) soit par des tin­ta­marres soit par des lèvres sèches se décol­lant de lèvres our­lées de mas­cara, et qui pré­sentent la par­ti­cu­la­rité d’être des incises ou des lames de bis­touri aptes à tailla­der, de manière fine ou gros­sière, le corps her­mé­tique et for­clos de mes émo­tions. Vu sous cet angle, dois-je en conclure qu’il y a musique à chaque écou­le­ment de ten­sion ? Spon­ta­né­ment, je n’aurais pas nommé cela comme ça.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Bra­mer à la place du cerf », d’Istan Nagas­kiev (Un écri­vain congo­lais qui vient de fêter sa tren­tième année pri­son­nier de l’ambassade d’Albanie).

Quel film vous fait pleu­rer ?
Bella e Per­dutta (di Pie­tro Mar­cello) – Vision­ner Poli­chi­nelle s’enfuyant avec un jeune buffle, afin qu’il ne soit pas pla­te­ment occis, me ter­rasse. La vie qui s’entête à pro­duire des absur­di­tés me com­mo­tionne au plus pro­fond. Enfin un film réa­liste : il porte le regard à hau­teur de veau. (Pourrait—il en être autre­ment ?) Il incite le spec­ta­teur à se mettre à quatre pattes et il lui donne envie d’être léché ou aveu­glé­ment flairé au cul par la ten­dresse. Il démontre que les palais ne servent à rien mais que leurs ruines magni­fient tous les pay­sages. Il fré­quente l’ortie et, par­fois, l’hallucination. Il débo­bine sa longue réclu­sion de pour­quois puis il s’éteint d’une seule allu­mette, qu’on a cou­tume d’appeler géné­rique de fin.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un monstre d’impuissance.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À Gavard-Perret. Pour lui deman­der qu’il me trans­mette au plus vite sa recette de « rémou­lade de Bes­schops » que, d’après ses élu­cu­bra­tions sur la Toile, il semble réa­li­ser avec maestria.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Hunucmá : une flaque de lumière sillon­née de sper­ma­to­zoïdes où j’ai tro­qué pour la pre­mière fois ma honte contre un fla­con de cyprine.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Asca­nio Celes­tini ; Julio Cortá­zar ; Romain Gary ; Anto­nio Lobo Antunes ; Louis Cala­ferte ; Réjean Ducharme ; Chloé Delaume ; …

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Dans un pre­mier temps, j’ai subi une obtu­ra­tion par­tielle, com­plé­tée par la suite, de mon anni­ver­saire. Pour mes proches, il évo­quait une dent man­quante dans l’an. Un vide par lequel s’engouffraient en sif­flant la bour­rasque et les tem­pêtes de neige. Aussi, pour que j’ai à nou­veau accès à cette fonte de moi, je vous serais à jamais obligé si vous m’offriez un marteau-piqueur.

Que défendez-vous ?
Je défends depuis tou­jours l’idée qu’être assis sur les toi­lettes le rec­tum béant sur l’inconnu dupli­que­rait les pos­si­bi­li­tés de déro­bades ou de rebuf­fades – même si l’analogie sca­to­lo­gique gêne un peu aux entour­nures (il faut bien se rete­nir à du connu).

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Quand Lacan mange un lac­que­mant, Freud reprend trois fois de la barbe à maman. Sauf lorsqu’elle est de mau­vais poil.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Et pas que !

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Si ce n’est l’excès de bai­sers, qu’est-ce qui vous a si mal étreint ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 28 décembre 2018.

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