Chuck Palahniuk, Snuff

Chuck Palah­niuk et le porno

Cassie Wright a décidé de clore sa car­rière d’actrice du cinéma X par un gang-bang his­to­rique en bat­tant le record avec six-cents par­te­naires, en une seule nuit. Elle ren­tre­rait alors dans la légende et s’assurerait des reve­nus confor­tables. Mais le défi n’est pas sans risques. La pro­ba­bi­lité de faire une embo­lie vagi­nale est réelle. Des rumeurs cir­culent sur son compte. Elle aurait eu un enfant, aban­donné il y a plus de vingt ans. Celui-ci serait le béné­fi­ciaire d’une sub­stan­tielle assurance-vie.
Six cents hommes, por­teurs d’un numéro ins­crit au feutre sur leur biceps, sont donc réunis dans un bâti­ment et attendent leur tour d’entrer en scène. Cha­cun dis­pose d’une minute pour jouer son rôle. Parmi cette foule, Mr 600 est un acteur porno vieillis­sant. Il connait Cas­sie depuis long­temps. C’est lui qui l’aurait ame­née au cinéma X et serait le père du mys­té­rieux enfant.
72 est un jeune homme por­teur d’un bou­quet de roses. Il est per­suadé que Cas­sie est sa mère. Ses fleurs se fanent avec le temps qui passe. 137 tient un ours en peluche por­teur de dédi­caces affec­tueuses des plus grandes stars. Il se bourre de Via­gra mal­gré les mises en garde de Sheila, la régis­seuse. Éga­le­ment secré­taire et confi­dente de Cas­sie, elle orga­nise les pas­sages et s’assure que les acteurs sont prêts pour leur office.
Mais, nom­breux sont ceux qui pour­raient être gagnant avec le décès de l’actrice. La pro­duc­tion d’abord, avec les béné­fices réa­li­sés par la publi­cité, l’enfant qui tou­chera une grosse somme et les acteurs qui pour­ront tirer gloire de ce moment. De plus, sous les numé­ros se dis­si­mulent des indi­vi­dus ani­més par des idées de ven­geance, des pul­sions homicides…

Chuck Palah­niuk a acquis une répu­ta­tion d’auteur sul­fu­reux en abor­dant de front, sans langue de bois, avec un style ins­piré d’auteurs mini­ma­listes, des ques­tions liées à la mort, la sexua­lité, Dieu, la des­truc­tion de soi ou la paren­ta­lité. Après les clubs de bas­ton, les ado­les­cents ter­ro­ristes, les rené­gats tarés et d’autres uni­vers où les per­son­nages sont sou­mis à une entité exté­rieure, il aborde une autre marge de la société amé­ri­caine, si reli­gieuse, si bien-pensante : le cinéma porno.
Le roman­cier emprunte son titre au terme “snuff movie”, né dans les années 70 pour dési­gner les films où des scènes de tor­tures et de meurtres sont pré­sen­tées comme réelles. Il aborde ce domaine avec une vision cli­ni­cienne. Sans fioriture,s il décrit l’ambiance, l’attente, les prin­ci­paux inter­ve­nants. Il raconte l’envers du décor ou, pour reprendre le titre d’un polar du grand G.-J. Arnaud, l’enfer du décor. Il porte un regard froid, ana­to­mique, gom­mant toute sen­sua­lité, toute ébauche du moindre plai­sir. Il décrit les acteurs avec leurs tics, leurs maquillages, les soins qu’ils portent à leur ana­to­mie. Il émaille son his­toire avec des remarques sur l’importance du sexe chez l’homme, de ses pul­sions, avec quelques images bru­tales mais salu­taires. Mais il pointe aussi  la tris­tesse qui résulte de ces actes codi­fiés où tout sen­ti­ment est exclu, le sort peu enviable des actrices et des acteurs.

Le roman se déroule en un huis clos glauque et sor­dide à sou­hait. L’auteur évoque, à tra­vers quelques exemples non dépour­vus de per­ti­nence, l’influence du sexe sur la science, sur les orien­ta­tions et les choix tech­no­lo­giques, sur les réseaux com­mer­ciaux, allant jusqu’à écrire : ” S’il y avait une cra­mouille gra­tis et en manque au som­met de l’Everest ou sur la lune, ils auraient déjà construit un ascen­seur ultra­ra­pide. Y aurait déjà des navettes spa­tiales toutes les dix minutes.Il offre un choix de termes très par­lants pour dési­gner les acteurs de porno, fai­sant preuve d’une inven­ti­vité de voca­bu­laire, qui démontre que le choix de son style est volon­taire.  En intro­dui­sant dans son intrigue nombre d’éléments de sus­pense inat­ten­dus qui ren­forcent la ten­sion du récit, il brosse des por­traits sai­sis­sants, avec une approche psy­cho­lo­gique remarquable.

Avec Snuff, l’auteur pour­suit dans la lignée de ses romans pré­cé­dents, décri­vant un uni­vers avec un souci de vérité, avec une approche d’une grande objec­ti­vité, met­tant en scène la face peu connue, misé­rable, d’une indus­trie pour­tant florissante.

serge per­raud

Chuck Palah­niuk, Snuff (Snuff) tra­duit de l’américain par Claro, Sona­tine Edi­tions, sep­tembre 2012, 224 p. – 16,50 €.

1 Comment

Filed under Non classé, Romans

One Response to Chuck Palahniuk, Snuff

  1. gavard-perret

    Un grand auteur en effet — de la nuit de l’eros et de sa pro­fa­na­tion entre autres.

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