Le rouge est à l’honneur, ce mois-ci. Synonyme de sang, de communisme… de sang, surtout !
“Ligne rouge”, une des collections de bandes dessinées de chez Casterman, propose de nouvelles séries intéressantes et pour tous les goûts. Entre la très effrayante et graphiquement réussie Crèvecœur qui inaugure une trilogie aux affaires très spéciales dans le milieu bruxellois, à Trust dont l’héroïne est cent pour cent eurasienne, en passant par celle que Le Journal du Dimanche a baptisée la première fiction BD réaliste sur la politique française, à savoir Élysée république, très peu de rapport hormis le genre — policier — et un thème commun : le monde pourri des affaires. Et c’est ainsi que, souvent, on franchit la ligne rouge…
N. & M. Duchêne, Crèvecœur - Tome 1 :“Prométhée“
1929. La Louisiane et son calme tranquille sont dérangés par la venue d’une belle et mystérieuse femme qui ne semble pas subir le passage du temps. Un homme qui la connaît bien, que sa visite trouble et qui aurait eu des raisons de se méfier, est violemment poignardé. Son coffre-fort est fouillé. Dans le même temps, à Bruxelles, un autre homme, tout aussi prospère, du même âge, voit une tranche de son passé resurgir. L’homme est aux abois, mais cela ne suffira pas. Sauvagement assassiné, il laisse le commissaire Paul Bury pantois. La Brigade des mœurs est sur l’affaire et l’on souhaite faire porter le chapeau à un pauvre hère qui n’a eu d’autre mauvaise idée que de se retrouver un peu trop souvent au mauvais endroit au mauvais moment. Notre mort laisse un héritage troublant. Une pendule cache un passage qui mène tout droit à une vaste pièce richement et salacement ornée. Un tableau, une fresque religieuse sur le mur principal. Sauf que la Vierge et les Apôtres ont des visages bien réels. Et que le mort en fait partie. Lui et un autre futur mort. Bref, l’énigme est totale. Et de sinistres individus trouvent que ce commissaire, féru de paranormal, devient bien trop dérangeant.
Nicolas (au dessin) et Martin (au scénario) Duchêne réalisent ici le premier volet d’une trilogie qui promet. Le graphisme est à la hauteur du scénario et se prête bien à l’ambiance surnaturelle qui se dégage de ce Bruxelles de la crise économique et qui n’est pas sans rappeler le Paris où évolue l’Adèle Blanc-Sec de Jacques Tardi. Vranken est un personnage qui incarne parfaitement toutes les déchéances, à l’inverse, la mystérieuse assassine qui se prélasse après un ultime crime en porte-jarretelle, cuir noir et tatouage à l’épaule gauche hautement érotique (l’évocation du tatouage, pas la rose qu’il représente), elle, est l’incarnation même du diable malgré — ou à cause de - sa beauté. À moins qu’elle ne soit tout simplement un bras vengeur…
M. Fleuriet & P. Weber ; M. Salvatori & F. Faina, Trust — Tome 1 : “Shanghai fusion”
Shan est née en Chine. Une mère française, un père chinois, une séparation sur base idéologique au lendemain de Tian An Men. Des années après, Shan travaille pour Future, une entreprise de pointe. Shan est une très belle femme. Un malotru de première la harcèle sans subtilité. Alors, elle accepte de retourner en Chine, à Shanghai, pour vendre un projet. Le communisme est bel et bien mort. Shan découvre l’assimilation du capitalisme par un pays toujours en mouvement. La corruption est monnaie courante. Comme les enlèvements et les supercheries. Quand le richissime Ming Huang est capturé sous ses yeux, Shan ne sait que penser. D’autant que des photos le montrant jouissant de vacances sur une plage lui arrivent très vite entre les mains. Seulement voilà, ces photos ont été amenées par un banquier douteux qui accepte toutes les conditions de vente du projet. Cette offre rebute encore plus Shan quand son harceleur de collègue débarque à son tour en Chine et la pousse à conclure l’offre.
Avec Shanghai fusion, le monde de la finance et celui de la bande dessinée sont à l’honneur. Car Shanghai fusion est un rapprochement plutôt surprenant : les Italiens Mauro Salvatori et Fabrizio Faina se sont attelés au graphisme, on doit le scénario au Belge Patrick Weber et le Français Michel Fleuriet a apporté la touche “finance” –il est un spécialiste en la matière pour avoir dirigé de grands établissements comme HSBC France. Ce premier épisode de Trust est la parfaite occasion pour en apprendre un peu plus sur les fusions d’entreprises et sur les différentes magouilles. Le trait est soigneux, Shan est une héroïne plutôt sympathique, pourvue d’un charisme qui marquera le lecteur.
R. Le Gall & Frisco, Élysée république — Tome 1 : “Secret présidentiel“
Constant Kérel est député du Morbihan. Brillant, jeune et charismatique, il n’a pas encore été corrompu par le pouvoir et semble être le futur candidat de l’opposition à l’élection présidentielle. Il est contacté par une femme séduisante qui a été témoin du meurtre de son amant dans un cabinet d’avocats. Meurtre commis par celui qui allait devenir le Président de la république dans un moment où le sang-froid aurait dû être de mise. La première rencontre entre Constant et Catherine est de celle qui met en confiance. Lorsque la belle inconnue l’accoste sur le pont des Arts, elle échappe de peu à un tireur d’élite. La suite n’est qu’aventures en folie agrémentées du rapt de la fille, Margot, du député qui se retourne alors vers ses amis japonais, pour finir sur un bord de plage. Car l’entourage du Président sent poindre la menace de ce témoin dérangeant. Et si le Président sent les événements lui échapper, il est prêt à tout sacrifier pour tenter de recoller les morceaux. Et ce n’est sûrement pas ce petit blanc-bec de Kérel qui va l’en empêcher. Une bataille terrible a lieu où tous les coups sont permis, mais la guerre ne fait que commencer !
Les dessins de Frisco sont très réalistes, dans la veine de XIII et autres Alpha. Les dialogues sont abondants et parsemés de sigles expliqués en bas de page ainsi que de termes japonais — introduction des Yakuzas oblige. Peut-être bien la première BD sur la politique française avec une dimension kennédienne qui nous promet, outre un complot aux ramifications multiples, une trame des plus sentimentales pour une destinée hors du commun. Rémy Le Gall signe un départ remarqué. Cet homme habitué à préparer les hommes politiques à affronter les médias utilise la matière de son expérience pour remiser Largo Winch au rayon des complots pour enfants.
julien védrenne
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