John Freeman, sans presque y toucher, comble les fêlures du réel. Ce qui pourrait sembler sordide se transforme et pousse le quotidien aux frontières sinon de l’imaginaire du moins d’une forme de paradoxe souvent drôle entre la paix et l’inquiétude. Le poète américain assure une liberté au regard. C’est une stratégie imparable. Bref, une sorte de poésie de la réalité crée de nouvelles pistes.
La forme courte, pudique dessine une cartographie intime qui laisse puissamment entrer le monde entre ses lignes. L’auteur sait capter les choses perdues, la domestication d’un chagrin, l’élasticité des souvenirs mais pour redonner à l’avenir une espérance. Afin d’y parvenir, Freeman aime la syncope et l’ellipse pour demeurer le plus discret possible.
Monte parfois au sein même de chaque poème une buée à peine décelable et étrange qui finit par envelopper le lecteur. La perception s’en trouve agrandie là-même où l’eau du réel n’est pas forcément claire. Freeman en pêche des fleurs à peine décelables. Une intensité est présente, elle crée une préhension particulière parmi les enluminures populaires et la félicité des bêtes plus que des hommes. Ce qui est sans doute rassurant.
jean-paul gavard-perret
John Freeman, Vous êtes ici, Poèmes traduits de l’anglais (États-Unis) par Pierre Ducrozet, Actes Sud, 2019.