Yslaire apporte quelques réponses aux nombreuses questions que son intrigue soulève depuis plus de trente ans. Certes, l’arbre généalogique des Sambre est copieux et il aborde, avec les deux héros du présent tome, le sort d’une troisième génération. Cette grande tragédie romantique, telle qu’elle s’écrivait au XIXe siècle, avec des malédictions, des amours impossibles, traverse plusieurs époques.
Il implique ses héros dans la réalité historique et fait découvrir, ou rappelle, ce qu’étaient les grands courants tant sociaux que politiques.
À Roquevaire, Bernard-Marie sort de son cauchemar habituel. Sa tante Sarah entre dans le bureau où il a passé la nuit lui demandant s’il a encore rêvé de celle que ses yeux ne voient pas, car elle l’a entendu pleurer. Il se fâche disant qu’il a étudié toute la nuit les trajets migrateurs des Monarques et des Sphinx. Il s’enfuit à la recherche de nouveaux papillons. Il rencontre Neff, l’ancienne nourrice de Julie, sa mère. Elle connaît bien la famille et lui révèle que Julie n’est pas morte noyée, qu’elle est bien vivante et qu’elle a refait sa vie.
À Paris, Judith, la fausse jumelle de Bernard-Marie passe une visite médicale dans la maison close où elle se prostitue. Elle se plaint de migraines. Selon le médecin, c’est un des premiers symptômes de la syphilis. Bernard-Marie découvre l’art de la photographie alors que Sarah tente de retenir les révélations sur la famille et la révolte de son neveu. Il veut partir pour Paris.
Judith fait tout son possible pour sortir de sa condition…
L’auteur respecte la tradition romantique avec l’ombre de la mort qui plane sans cesse. C’est le rêve récurrent de Bernard-Marie qui se voit décédé dans les bras d’une femme qui lui ressemble, qui a le même regard que lui, la même malformation oculaire. Avec Judith, il évoque la prostitution, les courtisanes, le sort des femmes sous le Second empire. Les maisons de passe sont tout à fait légales avec pignon sur rue. Des lois, d’ailleurs, instaurent le contrôle sanitaire des prostituées pour protéger le client.
Il est courant de déniaiser son fils, avant son mariage, dans de tels lieux. Entretenir une maîtresse est un signe de réussite sociale. Quant à ce que les épouses, les prostituées, les courtisanes pouvaient penser de l’exploitation du corps féminin, cela n’avait pas d’importance.
Avec son dessin raffiné, en bichromie, avec cette couleur rouge omniprésente, Yslaire a créé un style bien particulier. Son travail sur les personnages, sur leurs expressions, sur les décors et leurs détails, sur la composition des pages, apporte un vrai plaisir des yeux. Avec ce tome, les révélations affluent et donnent la dimension du IXe et dernier opus de la série.
Pour mémoire, le premier volet, Plus ne m’est rien est paru en juin 1986 chez Glénat. Il est frappant, en comparant les deux albums, de mesurer l’évolution du graphisme. Époustouflant !
serge perraud
Yslaire (scénario, dessin, couleurs), Sambre – t. VIII : Celle que mes yeux ne voient pas, Glénat, coll. “Caractère”, novembre 2018, 72 p. – 17,50 €.