Ionut Caragea, Aphorismes jaillis de l’écume des flots

La résur­rec­tion des Lazare

Nul ne s’étonnera de retrou­ver en un com­pa­triote de Cio­ran un maître de l’aphorisme. Ce genre est des plus nobles mais des plus dan­ge­reux. C’est un peu le haïku du monde occi­den­tal. Beau­coup s’y essaient et s’y cassent les dents — par­fois sans même s’en rendre compte. Pour pra­ti­quer un tel genre, il faut de la bou­teille et du recul plus qu’une simple faconde  : le risque est de réduire la pen­sée au  mot d’esprit et de tom­ber à côté de la plaque.
Ionut Cara­gea a donc maturé cette forme  au fil des ans et de ses autres écrits. Dès lors, ce qui “jaillit de l’écume des flots” échappe aux idées mères comme au re-pères afin de per­mettre à l’aphorisme non de faire du sur­place dans un esprit post-cioran mais de suivre un cours. Cara­gea ne s’y pré­tend  pas un des Jupi­ter lit­té­ra­teurs qui toisent le monde de leur hau­teur. Il ne cherche pas à  épa­ter de for­mules faci­le­ment tor­chées. La tra­duc­tion de Constan­tin Fro­sin — et ses choix — le prouvent.

L’auteur pré­fère la vérité à la pose. Et au besoin ouvre l’aphorisme — comme Cio­ran d’ailleurs sut le faire — à autre chose qu’un exer­cice de brié­veté à tout crin. Il est des véri­tés qui ne se laissent pas sai­sir uni­que­ment en quelques mots. Et si ce qui se conçoit bien s’énonce clai­re­ment, il convient néan­moins de trou­ver l’espace néces­saire à la pré­ci­sion de la pen­sée.
Nourri par les voyages, les lec­tures, la poro­sité à l’autre et le goût des mots Ionut Cara­gea ne lâche rien et donne à chaque apho­risme les contours néces­saires  afin que l’ellipse évite les contour­ne­ments comme les à-peu-près. Existe donc dans ce livre l’envol néces­saire à la pen­sée prête à jeter l’ancre pour ne pas oublier la réa­lité et les affres — mais aussi les dou­ceurs — de l’existence.

Se méfiant des gogos qui se prennent pour des maîtres et qui “ché­rissent tel­le­ment leurs propres véri­tés, autant que des vête­ments d’un prix fou”, l’auteur, dans un genre où cela peut paraître un para­doxe, pra­tique un exer­cice d’humilité. Il sait que dire n’est pas simple à qui veut tou­cher le vrai. Il faut par­fois renon­cer au brillant et reve­nir à des che­mins per­dus, oubliés, lais­sés à l’abandon.
L’éternité d’un style passe sous ses fourches cau­dines de la pré­ci­sion pour repen­ser le monde en osant au besoin « la gau­che­rie du cœur et la dex­té­rité de la croix » pour s’en déclouer. L’œuvre reste pour l’auteur la clé pour sor­tir des doxas de l’école socia­liste de son enfance rou­maine où les dieux du grand soir ser­vaient d’images saintes.

Afin  que la pen­sée soit à la fois sque­lette et chair et pour que l’aphorisme ne soit plus un retable en l’honneur des chiens de guerre, Cara­gea ramène en consé­quence aux bras de la femme. Leur croix n’est pas rigide et chris­tique : elle se referme en nid d’amour.  Elle donne à l’homme la rai­son de son com­bat pour l’existence.
C’est par elle que tout com­mence. L’auteur le rap­pelle à bon escient sans pour autant tom­ber dans les modes du temps. Ici com­mence la résur­rec­tion des Lazare.

jean-paul gavard-perret

Ionut Cara­gea, Apho­rismes jaillis de l’écume des flots, choix et tra­duc­tion par Constan­tin Fro­sin, Edi­tions Stel­la­Ma­ris, 2018 — 21,00 €.

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