L’Errante est le troisième roman de l’auteure à paraître chez J’ai Lu après La Rebelle, une femme médecin au Moyen Âge (n°10448 – 2013), La Prisonnière de Venise où deux femmes de condition différente doivent cacher leur maternité (n° 11137 – 2015). Si les deux premiers se passent entièrement dans un cadre historique, le présent roman se déroule à l’heure actuelle avec, toutefois, des liens forts avec un passé vieux de plus de cinq siècles.
En 1494, Britta da Johannes, la fille d’un apothicaire décédé, est accusée de sorcellerie par une accoucheuse et par le cadet du châtelain. Celui-ci voit l’occasion de tuer son aîné en faisant accuser la jeune femme dont son frère est épris.
En 2014, Barbara Pallavicini, une chercheuse universitaire en histoire médiévale, s’introduit dans les ruines du château de Saint-Jacques-aux-Bois, dans la vallée d’Aoste, pour trouver une inscription laissée par Britta emprisonnée. Dans ce qu’elle suppose être la prison, elle découvre le cadavre d’une jeune fille. C’est l’adjudant des carabiniers d’Aoste, Giovanni Randisi qui est chargé de l’enquête sous la férule de Gabriela Spadoni, la procureure. Très vite, les enquêteurs identifient la victime. Il s’agit de Francesca Ravet, une shampooineuse. Elle était enceinte de trois mois. Ivan Berthod, son amant, est décédé il y a une vingtaine de jours dans un accident de moto. Chez elle, Randisi repère une série de pots contenant des herbes, et des ouvrages liés à la sorcellerie. L’un d’eux, Maléfices et Enchantements, est annoté sur toutes les pages.
En 1494, l’étau se resserre sur Britta qui a perdu le bébé qu’elle portait. Un inquisiteur et un procureur sont désignés pour instruire son procès…
La seule amie de Francesca, Jessica Marin, disparaît…
Un crime sert de point de départ au roman, celui d’une jeune fille portée vers la sorcellerie dans une région qui a eu beaucoup à souffrir de l’inquisition. La vallée d’Aoste avait la réputation d’être infestée de sorcières. Comme partout en Europe, elle a été le théâtre de ces h qui se terminaient toujours par le bûcher à cause de l’ignorance crasse d’une large part de la population, du rejet de la femme qui cherchait à sortir de sa condition d’esclave, de la peur, de la terreur des religieux face à la féminité.
On pourrait croire que l’Humanité a enfin tourné la page de tels comportements, de telles infamies, de tels crimes. Mais que nenni !
Pour faire vivre son intrigue, Valeria Montaldi a conçu une galerie de personnages aux profils approfondis, étudiés, structurés tant pour les principaux protagonistes que pour les seconds, les troisièmes rôles. Elle décrit la manière d’enquêter des carabiniers, les liens entre les individus, les rapports dans une hiérarchie entre police et justice.
Spécialiste du Moyen Âge, la romancière restitue avec talent toutes les phases d’un procès d’inquisition. On vit les étapes, la construction de l’acte d’accusation et les difficultés de ces enquêteurs pour construire une accusation plausible. Cependant, elle ne s’autorise pas une intrigue linéaire et offre de multiples variations, met en avant des sentiments humains qui vont à l’encontre du droit et du devoir.
Un petit détail, une légère incohérence alerte toutefois l’attention. L’action débute en novembre dans la région d’Aoste, au pied des Alpes. Il neige. Barbara découvre le corps et : “… la puanteur de décomposition… ne venait pas que de la moisissure.” Plus loin, Randisi interroge le légiste : “Vous avez une idée de l’heure du décès ? – Je dirais entre dix et douze heures avant que le corps n’ait été retrouvé…”. Compte-tenu du froid, un corps se décompose-t-il aussi vite ?
Cela dit, ce roman se révèle passionnant pour une intrigue retorse qui donne bien du mal aux enquêteurs, pour les personnages attachants à cinq siècles de distance et pour une conclusion surprenante.
serge perraud
Valeria Montaldi, L’Errante (La randagia), traduit de l’italien par Samuel Sfez, j’Ai Lu coll. “Romans et récits historiques”, n° 11 955, novembre 2018, 512 p. – 7,90 €.