Daniel Cario, Les Bâtards du diable

La soli­tude et la folie…

Silvère Lava­rec est sémi­na­riste. Sur le point de pro­non­cer ses vœux pour la prê­trise, il est ren­tré chez ses parents quelques jours pour médi­ter. Il aime aller en forêt, à la recherche de miné­raux. C’est là qu’il est atta­qué par une laie qui veut pro­té­ger ses petits. Ce sont les enchaî­ne­ments qu’il recons­ti­tue quand il reprend conscience dans un lieu inconnu, avec une ter­rible dou­leur irra­diant son corps. Peu à peu, il réa­lise qu’il est atta­ché sur un châ­lit, des sangles immo­bi­li­sant son corps et ses mains. Après quelques appels, une femme le rejoint. Elle entre­prend de soi­gner sa plaie, de le nour­rir sans dire un mot mal­gré toutes les ten­ta­tives de Sil­vère pour enga­ger le dia­logue. En tant que futur prêtre, il fait réfé­rence à Dieu. Elle finit par lâcher : “Laissez-moi en paix avec votre Dieu.
Elle le soigne, le lave, fai­sant naître des sen­sa­tions qu’il s’empresse de refré­ner. Les soins sont effi­caces et Sil­vère se réta­blit. Il veut savoir pour­quoi elle le retient pri­son­nier, quand il pourra par­tir. Il s’interroge, ques­tionne son Dieu pour com­prendre, pour retrou­ver les fautes qu’il expie ainsi. Quelques temps après, elle s’approche, le dénude et le che­vauche, lui fait l’amour, une situa­tion que Sil­vère veut com­battre de toute sa volonté, mais le plai­sir l’emporte. Elle le libère. Il part et, dans un réflexe, ferme à clé la porte de la pièce où elle se trouve. Pris de remords, il revient la déli­vrer non sans avoir fouillé un peu pour essayer de connaître son bour­reau. Il trouve une vieille photo por­tant au dos Blan­dine de Quincy. Sil­vère n’a de cesse de recher­cher la per­son­na­lité et le passé de cette femme énig­ma­tique. Il n’est pas au bout de ses surprises…

Le récit s’articule autour de deux thèmes prin­ci­paux, l’interrogation d’un futur prêtre sur les rai­sons des tour­ments men­taux, psy­cho­lo­giques et phy­siques que Dieu lui fait subir et une quête pour décou­vrir cette femme, l’instigatrice de sa dam­na­tion. Qui est-elle ? D’où vient-elle et pour­quoi agit-elle ainsi ? Le roman­cier fait revivre à son héros quelques grandes étapes de sa jeune exis­tence, la ren­contre avec le sexe dans deux situa­tions mar­quantes, les voies qui l’ont amené à vou­loir embras­ser la prê­trise.
Il détaille, avec un sens cer­tain du récit et avec habi­lité, toute l’introspection de son per­son­nage, ses réac­tions face à cette situa­tion incon­grue et aux rai­sons qui pour­raient moti­ver ces faits. Puis c’est toute la ter­reur de la dam­na­tion et toute la culpa­bi­lité qu’il déve­loppe pour ne pas avoir su résis­ter aux plai­sirs de la chair, aux plai­sirs que son corps a trouvé dans l’accomplissement, contre sa volonté, de l’acte sexuel.Il décrit le par­cours d’une jeune fille dans l’après-guerre (une jeune fille qui doit lut­ter seule) de même que l’enquête que son héros mène dans la cam­pagne bretonne.

Bien que le pro­pos puisse paraître aus­tère, Daniel Cario sait construire un sus­pense, faire mon­ter une ten­sion qui donne envie de pour­suivre la lec­ture pour tout savoir du par­cours de Blan­dine et Sil­vère. À tra­vers son héros, le roman­cier explore la foi, la croyance en un Dieu et les outils mis en place par les reli­gieux pour étouf­fer toute vel­léité d’autres cou­rants de pen­sées.
Si la dam­na­tion est un “père-fouettard” effi­cace, le roman­cier s’interroge éga­le­ment sur la confes­sion, fai­sant pen­ser à Sil­vère : “Quelle impu­deur pour des êtres humains de dévoi­ler à un inconnu leurs facettes les plus sor­dides. Même à un prêtre. Quelle impu­dence à celui-ci de leur prê­ter l’oreille et de se croire habi­lité à les absoudre…” L’action se déroule en 1958, trou­vant des rami­fi­ca­tions avec des évé­ne­ments pen­dant la Seconde Guerre mondiale.

On peut, par contre, avoir quelques réserves sur le fait que Constance, une ser­vante qui compte tenu de sa situa­tion n’avait pas d’enfant, ait été la nour­rice d’un bébé. Et par deux fois. Bien qu’une femme puisse avoir une lac­ta­tion sans mater­nité, les situa­tions sont rares et néces­sitent des condi­tions bien par­ti­cu­lières.
Avec Les Bâtards du diable, Daniel Cario donne un remar­quable récit et sou­lève quan­tité de ques­tions sur nombre de sen­ti­ments et d’émotions, sur la valeur et les fon­de­ments de la foi et sur les com­bats que mènent, dans la soli­tude, beau­coup d’individus.

serge per­raud

Daniel Cario, Les Bâtards du diable, Presses de la Cité, coll. “Terres de France”, octobre 2018, 320 p. – 20,00 €.

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