Silvère Lavarec est séminariste. Sur le point de prononcer ses vœux pour la prêtrise, il est rentré chez ses parents quelques jours pour méditer. Il aime aller en forêt, à la recherche de minéraux. C’est là qu’il est attaqué par une laie qui veut protéger ses petits. Ce sont les enchaînements qu’il reconstitue quand il reprend conscience dans un lieu inconnu, avec une terrible douleur irradiant son corps. Peu à peu, il réalise qu’il est attaché sur un châlit, des sangles immobilisant son corps et ses mains. Après quelques appels, une femme le rejoint. Elle entreprend de soigner sa plaie, de le nourrir sans dire un mot malgré toutes les tentatives de Silvère pour engager le dialogue. En tant que futur prêtre, il fait référence à Dieu. Elle finit par lâcher : “Laissez-moi en paix avec votre Dieu.“
Elle le soigne, le lave, faisant naître des sensations qu’il s’empresse de refréner. Les soins sont efficaces et Silvère se rétablit. Il veut savoir pourquoi elle le retient prisonnier, quand il pourra partir. Il s’interroge, questionne son Dieu pour comprendre, pour retrouver les fautes qu’il expie ainsi. Quelques temps après, elle s’approche, le dénude et le chevauche, lui fait l’amour, une situation que Silvère veut combattre de toute sa volonté, mais le plaisir l’emporte. Elle le libère. Il part et, dans un réflexe, ferme à clé la porte de la pièce où elle se trouve. Pris de remords, il revient la délivrer non sans avoir fouillé un peu pour essayer de connaître son bourreau. Il trouve une vieille photo portant au dos Blandine de Quincy. Silvère n’a de cesse de rechercher la personnalité et le passé de cette femme énigmatique. Il n’est pas au bout de ses surprises…
Le récit s’articule autour de deux thèmes principaux, l’interrogation d’un futur prêtre sur les raisons des tourments mentaux, psychologiques et physiques que Dieu lui fait subir et une quête pour découvrir cette femme, l’instigatrice de sa damnation. Qui est-elle ? D’où vient-elle et pourquoi agit-elle ainsi ? Le romancier fait revivre à son héros quelques grandes étapes de sa jeune existence, la rencontre avec le sexe dans deux situations marquantes, les voies qui l’ont amené à vouloir embrasser la prêtrise.
Il détaille, avec un sens certain du récit et avec habilité, toute l’introspection de son personnage, ses réactions face à cette situation incongrue et aux raisons qui pourraient motiver ces faits. Puis c’est toute la terreur de la damnation et toute la culpabilité qu’il développe pour ne pas avoir su résister aux plaisirs de la chair, aux plaisirs que son corps a trouvé dans l’accomplissement, contre sa volonté, de l’acte sexuel.Il décrit le parcours d’une jeune fille dans l’après-guerre (une jeune fille qui doit lutter seule) de même que l’enquête que son héros mène dans la campagne bretonne.
Bien que le propos puisse paraître austère, Daniel Cario sait construire un suspense, faire monter une tension qui donne envie de poursuivre la lecture pour tout savoir du parcours de Blandine et Silvère. À travers son héros, le romancier explore la foi, la croyance en un Dieu et les outils mis en place par les religieux pour étouffer toute velléité d’autres courants de pensées.
Si la damnation est un “père-fouettard” efficace, le romancier s’interroge également sur la confession, faisant penser à Silvère : “Quelle impudeur pour des êtres humains de dévoiler à un inconnu leurs facettes les plus sordides. Même à un prêtre. Quelle impudence à celui-ci de leur prêter l’oreille et de se croire habilité à les absoudre…” L’action se déroule en 1958, trouvant des ramifications avec des événements pendant la Seconde Guerre mondiale.
On peut, par contre, avoir quelques réserves sur le fait que Constance, une servante qui compte tenu de sa situation n’avait pas d’enfant, ait été la nourrice d’un bébé. Et par deux fois. Bien qu’une femme puisse avoir une lactation sans maternité, les situations sont rares et nécessitent des conditions bien particulières.
Avec Les Bâtards du diable, Daniel Cario donne un remarquable récit et soulève quantité de questions sur nombre de sentiments et d’émotions, sur la valeur et les fondements de la foi et sur les combats que mènent, dans la solitude, beaucoup d’individus.
serge perraud
Daniel Cario, Les Bâtards du diable, Presses de la Cité, coll. “Terres de France”, octobre 2018, 320 p. – 20,00 €.