Claude Bleton, Les Nègres du traducteur

Ce petit roman bien ficelé, à par­tir d’une intrigue ori­gi­nale, mêle habi­le­ment phi­lan­thro­pie et cynisme

Aaron Jan­vier débute dans la tra­duc­tion d’œuvres lit­té­raires. Des romans espa­gnols, il tire de fabu­leuses ver­sions avant-gardistes qui lui valent la consé­cra­tion dans son art. Bien­tôt, il atteint les som­mets de sa car­rière, reconnu comme pro­phète en son pays. Auteurs comme édi­teurs ne peuvent plus se pas­ser de ses ser­vices. Les éche­lons du métier sont gra­vis à une sur­pre­nante vitesse, rien ni per­sonne ne peut plus l’arrêter dans son ascen­sion. Au fond de lui, cepen­dant, le désir d’être l’auteur pre­mier, le créa­teur d’un texte se fait de plus en plus pres­sant. Mais pas dans n’importe quelles condi­tions : les écri­vains sont le filet dont pareil acro­bate ne peut se pas­ser. L’idée de tra­duire une œuvre avant la créa­tion même de l’originale germe en lui, puis s’ancre dans la réa­lité. Inter­lo­qués de cette pro­po­si­tion pour le moins incon­grue, les auteurs his­pa­ni­sants ne tardent pas à y voir leur inté­rêt. Jusqu’au jour où l’un d’eux se rebiffe.

La quan­tité ne fait pas la qua­lité, et ce court roman nous le prouve bien. Drôle de fable, iro­nique à sou­hait, où Claude Ble­ton sait décrire les per­son­nages cocasses, ceux qui, d’ordinaire, sont si dif­fi­ciles à peindre. On ne peut rete­nir un petit sou­rire de com­pli­cité lorsque l’auteur se lance dans ses des­crip­tions du genre humain. Seul point noir, l’intrigue est trop aisé­ment pres­sen­tie, car le résumé en qua­trième de cou­ver­ture n’est pas suf­fi­sam­ment éva­sif. Mais le reste du texte regorge tel­le­ment de clins d’œil des­ti­nés au lec­teur, que l’on passe, sans se for­cer, l’éponge sur ce défaut minime. En effet, l’ouvrage est ponc­tué, de loin en loin, par des détails humo­ris­tiques sur le mode de vie des his­pa­ni­sants, ne lais­sant aucun répit au lec­teur assidu que l’on devient.

La seconde par­tie du roman peut sem­bler au pre­mier abord un peu longue, mais c’est pour mieux nous faire lan­guir. L’auteur ne tarde pas à nous entraî­ner dans une danse, un rythme effréné, où il est dif­fi­cile de reprendre son souffle. Allé­go­rie du stress de plus en plus pré­sent, de plus en plus pres­sant dans la vie du nar­ra­teur qui recourt à des méthodes pas très catho­liques pour main­te­nir sa car­rière au som­met. Tout comme il dépeint la méga­lo­ma­nie, qui sourd dans l’esprit du nar­ra­teur, Claude Ble­ton sait décrire le milieu et ses adages sans qu’aucune lour­deur ne vienne gâcher le mes­sage ; il donne ainsi au lec­teur la pos­si­bi­lité de s’insinuer dans le monde de l’édition, comme un enfant qui épie­rait, sans se faire entendre des adultes, der­rière une porte entre­bâillée. En défi­ni­tive, un petit roman bien ficelé, où se mêlent habi­le­ment phi­lan­thro­pie et cynisme.

juliette ben­ci­vengo

Claude Ble­ton, Les Nègres du tra­duc­teur, Métai­lié, 2004, 132 p. — 12,00 €. 

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