Après les Lettres de Philippe Sollers à Dominique Rolin parues l’année dernière chez le même éditeur voici « en repons » les lettres de la seconde au premier. Elle le connut lorsqu’il n’avait que 22 ans. La femme belle et mure avait déjà dévoilé ce qui fut un secret (éventé très tôt au sein du milieu germanopratin) dans son journal. Il restait néanmoins évoqué de manière codée quoique semée d’indices.
Ces lettres d’une qualité rare reconstruisent une histoire qui fut, bien plus qu’une aventure, le parcours de deux écrivains doublés de deux amoureux. Dominique Rolin s’y retrouve attentive et tendre au sein d’une d’introspection et d’aveux, parfois doux, parfois plus acerbes. Toute la relation passionnelle est là. L’écart d’âge (23 ans) ne compte pas même si, au cours de l’évolution dans le temps, il laisse apparaître — face à la liberté insolente de Sollers — chez celle qui lui répond amour mais aussi souffrance et lucidité.
La jalousie la ronge, car le libertin est avide et quelque peu au besoin faux naïf. Du haut de son insouciance, il reste le maître du jeu. Et dès 1962, dans la fiction que raconte Sollers avec « Une curieuse solitude », son aimée trouve une source d’angoisse. Elle marquera l’histoire du couple. Toutefois, les lettres de Dominique Rolin sont encore plus fortes que ses précédents textes sur la passion vécue en parallèle à l’écriture.
Parfois, les amants travaillent de concert. Néanmoins, Sollers reste le chef de ce « léger orchestre ». Il est à la fois « distrait et fou d’attention » et c’est bien là le problème, même si au fil du temps les amants trouvent leurs marques et territoires.
Dominique Rolin est épistolière au sens plein au moment où, avec sa version, l’histoire commune se complète. Les deux visions ne se contredisent pas, elles se “marient” et soulignent la violence de l’amour mais aussi l’intelligence des protagonistes au sein d’une histoire en long cours. Les lettres montrent que Sollers ne furent pas le seul responsable des angoisses et peurs de son amoureuse : elle était torturée depuis son enfance. Et si l’amant est parfois le monstre, il reste celui qui la sort de sa douleur, de certains fantômes et ses hallucinations même s’il en fit naître d’autres.
Deux individualités sont en marche avec, en double, leur enfance. Le quadrige s’inscrit dans cette correspondance croisée qui méritera plus tard une édition commune voire un tome de la Pléiade — tant pour la qualité littéraire des lettres que ce qu’elles recèlent : les questions de l’amour et de l’écriture partagées entre réalité et une certaine « fictionnalisation » jamais dupe d’elle-même.
Au mur qui morcelle la vie des deux amoureux fait écho cette langue aussi sensuelle que cérébrale. Elle ébranle le réel par son “murmure”. Un jeu de l’impalpable illustre combien l’écriture ne peut jamais saisir d’emblée une vérité ou une finitude. L’écriture se heurte à l’inconscient comme la ville à son boulevard de ceinture.
Trop d’écrivains tentent d’aplanir cet écueil ou feignent de l’ignorer (puisqu’il les dépasse). Dominique Rollin et Sollers, à l’inverse, s’y confrontent. Ce combat donne à leur écriture amoureuse une valeur critique, là où la caresse ne se contente pas de la simple loi du logos. Les deux savaient déjà qu’il fallait plus : de la musique. Certes, pas “avant toutes choses” mais afin que la passion perdure.
jean-paul gavard-perret
Dominique Rolin, Lettres à Philippe Sollers (1958 — 1980), Editions de Jean-Luc Outers, Gallimard, coll. Blanche, Paris, 2019.
Parfois, le boulevard de ceinture étrangle puis jaillit à nouveau le souffle inattendu au-delà des différences.