Si vous voulez lire autre chose que les journaux pour y voir plus clair au sujet des “gilets jaunes“, procurez-vous ce livre écrit avant le début de leur mouvement, et qui le prédit sinon littéralement, du moins en expliquant que la situation de la classe moyenne et des plus pauvres est devenue intenable.
Christophe Guilluy s’est fait connaître, il y a quelques années, en créant la notion de “France périphérique“, qui s’est répandue depuis à la mesure de sa pertinence. Dans son nouvel ouvrage, il nous offre une vision d’ensemble des causes et des conséquences de l’appauvrissement subi par l’ancienne classe moyenne, phénomène aggravé par le mépris dont elle fait l’objet : “Depuis des décennies, la représentation d’une classe moyenne triomphante laisse peu à peu la place à des représentations toujours plus négatives des catégories populaires et l’ensemble du monde d’en haut participe à cette entreprise. Le monde du cinéma, de la télévision, de la presse et de l’université se charge efficacement de ce travail de déconstruction pour produire en seulement quelques décennies la figure répulsive de catégories populaires inadaptées, racistes et souvent proches de la débilité“ (p. 86).
Insupporté par cette vision négative, le géographe ne donne pas dans l’idéalisation, mais fournit des exemples concrets de la manière dont ceux qui constituent la majorité de la population gèrent les problèmes que la France “d’en haut“ refuse de voir ou de régler. Tout en constatant que leur vie devient de plus en plus difficile, l’auteur se montre optimiste en observant que les classes populaires “exercent aujourd’hui un soft power invisible qui contribue à l’effondrement de l’hégémonie culturelle des classes dominantes et supérieures“ (p. 176).
Guilluy explique que le modèle social et économique actuel est à bout de souffle, et que la régression sociale en cours aura pour prochaines cibles les retraités et les fonctionnaires (les événements récents lui donnent raison), pour conclure : “Cette attaque des protégés est suicidaire. Quand le processus sera achevé, le roi sera nu, le monde d’en haut aussi. Structurellement minoritaires, les classes dominantes et supérieures n’auront plus d’autre choix que de réintégrer le mouvement de la société ou de disparaître“ (p. 228).
Comme l’indique le titre de l’ouvrage (inspiré par un propos de Margaret Thatcher), le phénomène que l’auteur analyse ne vaut pas seulement pour la France, mais pour l’ensemble des pays occidentaux développés. Sa vision de l’état des choses ailleurs que chez nous augmente la valeur de ses commentaires.
Parfaitement limpide, écrit dans un style émaillé d’ironie et de piques savoureuses, c’est un essai à lire et à offrir.
agathe de lastyns
Christophe Guilluy, No society. La fin de la classe moyenne occidentale, Flammarion, octobre 2018, 242 p. – 18,00 €.