Peter van Dongen, Rampokan

Quand les Pays-Bas ten­taient de recon­qué­rir Java…

Les Édi­tions Dupuis rééditent en un seul tome, et en cou­leurs, les deux albums qui com­posent Ram­po­kan de Peter van Don­gen : Ram­po­kan Java paru en 1998 (tra­duc­tion en fran­çais en 2003) et Ram­po­kan Célèbes publié en 2004 (tra­duc­tion en 2005). L’auteur a retenu pour titre de son dip­tyque le nom d’une céré­mo­nie tra­di­tion­nelle java­naise qui eut cours entre le XVII et le XXe siècle. Elle fut inter­dite par les auto­ri­tés de la Com­pa­gnie néer­lan­daises des Indes orien­tales en 1905.
Ce rituel, qui se dérou­lait à la fin du Rama­dan, consis­tait à un com­bat en cage entre un buffle et un tigre, puis la mise à mort de pan­thères et de tigres dans un cercle d’hommes armés de piques. Les fauves mou­raient en ten­tant de s’échapper. L’idée était d’exorciser les méfaits cau­sés par ces fauves. Cepen­dant, sa signi­fi­ca­tion pro­fonde prête à interprétation.

Le récit débute en octobre 1946, sur un bateau qui amène un contin­gent de jeunes sol­dats, venus des Pays-Bas, en Indo­né­sie. L’occupation par les Japo­nais, au début de l’année 1942, a chassé les Néer­lan­dais ins­tal­lés depuis 1602 sur ces ter­ri­toires. La Seconde Guerre mon­diale ter­mi­née, les Hol­lan­dais veulent reprendre pos­ses­sion de leurs anciennes colo­nies.
Dans ce contin­gent, Johan Kne­vel est, en fait, de retour dans son pays natal. Il rêve de son enfance et veut retrou­ver Ninih, sa nou­nou indo­né­sienne. Lors des cor­vées, il fait ami-ami avec Frits de Zwart Mais au cours du voyage, au pas­sage de la Ligne dans le détroit de Malacca, il se bagarre avec un sol­dat qu’il fait tom­ber, invo­lon­tai­re­ment, dans l’océan. Décidé à taire cet acci­dent, il se débar­rasse des affaires de celui-ci. Or, Frits sur­prend son manège et se doute de quelque chose. Arri­vés à Java, Johan ini­tie Frits à l’ambiance, aux mœurs. Dans un bar du quar­tier chi­nois, alors que Johan est ivre-mort, Frits ren­contre Ben­nie Rie­beek qui se pré­sente comme jour­na­liste. Quand Frits se vante des affaires déli­cates qu’il menait à Rot­ter­dam, Ben­nie lui annonce qu’il y a, aussi, du fric à faire ici. Il saute sur l’occasion comp­tant sur Johan qui est chauf­feur et… qu’il a dans sa poche !

Avec Ram­po­kan, Peter van Don­gen raconte le colo­nia­lisme et ses effets induits, décrit les débuts de la déco­lo­ni­sa­tion, les insur­rec­tions et leurs consé­quences au niveau des indi­vi­dus. Il plante son intrigue dans cette période ter­rible où les Pays-Bas ten­taient de reprendre la main sur leurs anciennes colo­nies alors que celles-ci, libé­rées des Japo­nais, avait déclaré leur indé­pen­dance.
Il raconte les atti­tudes des uns et des autres, les tra­fics, les dan­gers, les ren­contres et les évo­lu­tions per­son­nelles compte tenu du chan­ge­ment de la situa­tion glo­bale. Un cli­mat com­plexe de guerre colo­niale où les hor­reurs, les exac­tions des deux bords deviennent mon­naie cou­rante. Sur les pas du héros, l’auteur fait décou­vrir un pays et les sou­bre­sauts qui le secouent pour aller vers son autonomie.

Peter van Don­gen s’est d’autant plus impli­qué dans son his­toire qu’il est direc­te­ment concerné. Si son père est néer­lan­dais, sa mère est indo­né­sienne. Par de fré­quents dépla­ce­ments sur les lieux, il se docu­mente, recherche. Il met­tra trois ans à réunir les don­nées néces­saires et se mettre à écrire. Mais, il des­sine, reconnaît-il, une Indo­né­sie qu’il n’a pas connue, étant né en 1966 à Amster­dam.
Fervent défen­seur de la fameuse Ligne Claire, si chère à l’École belge, il excelle dans le genre offrant des visuels de très belle tenue. Dans sa mise en scène, dans ses mises en page, il pri­vi­lé­gie les petites cases, n’hésitant pas à en pro­po­ser treize par planche. Il signe un des­sin minu­tieux, détaillé, d’une grande précision.

La mise en cou­leurs est de Mar­loes Dek­kers sauf les vingt pre­mières pages du tome 2 qui sont de Peter van Don­gen. Mais celle-ci, assez neutre, apporte-t-elle un plus à l’œuvre parue en bichro­mie? Une nou­velle tra­duc­tion, par contre, peut gom­mer les approxi­ma­tions, volon­taires ou non, d’une adap­ta­tion, dévoi­ler des sub­ti­li­tés lin­guis­tiques.
Un dos­sier sur l’auteur, sur la genèse de son œuvre, enri­chi de cro­quis, pages de cou­ver­tures, apporte un com­plé­ment bienvenu.

Regards sur une époque sans pour autant être un scé­na­rio his­to­rique, fable sociale, psy­cho­lo­gique sur la perte du passé et de l’identité, éclai­rage sur les com­por­te­ments humains tous plus ou moins iden­tiques, accen­tués, Ram­po­kan emporte l’adhésion.

serge per­raud

Peter van Don­gen (scé­na­rio et des­sin), Mar­loes Dek­kers (cou­leurs), Ram­po­kan, tra­duit du néer­lan­dais par Caro­line Dob­bel­stein, Édi­tions Dupuis, coll. “Aire Libre”, novembre 2018, 176 p. – 26,00 €.

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