On se doute bien de quelque chose quand on se dirige vers la salle. Un couple couronné et absorbé attend visiblement de faire son entrée. Une caméra les filme. On se sent tout de suite importants. Quand on y entre, un animateur nous annonce en grande pompe un mariage. On comprend qu’on vient de frôler Gertrude et Claudius et qu’on est aux noces. Dans une ambiance festive un peu déjantée, le speaker exhorte les invités à s’associer activement à la célébration, en prenant place sur scène. On sait dès lors qu’on va assister à une lecture renouvelée de la pièce — qui s’offre comme une belle occasion d’en visiter et redéfinir tous les thèmes : la scène de l’enterrement est occultée, déplacée, tandis que le spectre, grimé en Dark Vador, tient un discours dont l’intelligibilité est sujette à caution…
L’utilisation fréquente de la caméra permet d’insister sur certains détails, comme si on peignait les décors en direct — projetant sur l’écran des visages en gros plan ou officialisant certaines scènes ou encore les renvoyant au public. Au fond du plateau, une scène entourée d’un grand rideau peinturé rend solennels les tableaux qui y sont présentés. Devant, autour de l’espace de jeu, des coulisses sont visibles : y sont des accessoires, des costumes, des effigies de Freud, de Shakespeare et de quelques autres, côtoyant des armures, comme les vestiges d’un ballet dégingandé. Tous les ingrédients sont réunis pour présenter une fresque ambitieuse et un peu foutraque.
Jérémie Le Louët s’empare du personnage d’Hamlet pour lui donner un nouveau relief : rendu à sa mortelle condition d’enquêteur, délivré de son destin, il erre en grenouillère (entre babygros et tunique psychiatrique), appelé par ses désirs. Il parcourt les méandres de sa propre surdétermination ; son investigation n’est plus métaphysique mais psychique. Disloqué de l’intérieur par l’union de sa mère avec son oncle, il passe de la nostalgie du sein au désir de comprendre.
Le metteur en scène s’amuse avec le théâtre dans le théâtre, en faisant jouer les rôles des acteurs par les comédiens qui sont Claudius et Gertrude, ou en faisant revenir Laërte en prédicateur populiste qui harangue la foule contre le roi. On assiste à une explicitation des mécanismes de la pièce par une déconstruction hypermoderne qui vide la tragédie de ses drames pour en faire un polar, une vignette clinique ou une introspection brouillonne.
Le spectacle est présenté de façon dynamique et tendue, comme si chacun était sur le fil de sa propre improvisation. Chaque personnage est ballotté entre son adresse authentique au public et son point de ridicule, qui apparaît lorsqu’il en vient à montrer le jeu duquel il participe. Le recours à l’autoréférence permet de donner aux êtres une épaisseur réflexive.
Une fresque audacieuse, inventive qui permet à la troupe de présenter une création réussie, à la fois profonde, légère et réjouissante.
manon pouliot & christophe giolito
Hamlet Fête macabre
d’après William Shakespeare
Adaptation et mise en scène Jérémie Le Louët
Avec Pierre-Antoine Billon, Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Jérémie Le Louët et Dominique Massat
Collaboration artistique Noémie Guedj Scénographie Blandine Vieillot Costumes Barbara Gassier Vidéo Thomas Chrétien et Jérémie Le Louët Lumière Thomas Chrétien Son Thomas Sanlaville Régie Thomas Chrétien et Thomas Sanlaville
Au théâtre de Chatillon, 3 rue Sadi Carnot 92320 Châtillon
renseignements et location 01 55 48 06 90
billetterie@theatreachatillon.com
du 22 novembre au 2 décembre, du lundi au samedi à 20h30, le dimanche 2 décembre à 16h, relâche le dimanche 25 et le mercredi 28 novembre 2018.
Création du 22 novembre au 2 décembre 2018 au Théâtre de Châtillon (92) relâche le 25 et le 28 novembre Le 7 déc. 2018 à l’Espace Jean Lurçat à Juvisy-sur-Orge (91) Le 13 déc. 2018 au Théâtre de Thouars-Scène conventionnée (79) Le 21 déc. 2018 au Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine (94) Le 8 janv. 2019 au Théâtre de Chartres (28) Le 18 janv. 2019 au Prisme-Théâtre municipal d’Élancourt (78) Le 22 janv. 2019 au Relais culturel de Haguenau (67) Le 25 janv. 2019 à la Salle Europe à Colmar (68) Le 14 fév. 2019 au Centre d’art et de culture de Meudon (92) Le 19 fév. 2019 au Théâtre Jean Vilar de Suresnes (92) Le 26 fév. 2019 au Théâtre de la Madeleine-Scène conventionnée de Troyes (10) Le 27 fév. 2019 au Théâtre de la Madeleine-Scène conventionnée de Troyes (10)