Apolline Lepetit mélange une forme de sacré et sa profanation pour atteindre des principes de vie aux profondeurs cachées. Le monde créé par l’artiste devient onirique, fabuleux là où tout part de rebuts et de restes ou de choses vues et scénarisées à partir de situations de la vie quotidienne pimentées de réflexions en insert sur l’image et l’existence. De chinages d’objets, de scènes “fictionnées” ou à travers des errances et voyages se crée une expérience intérieure intime et mythique.
L’image se démultiplie en partant de reliefs qui s’ouvrent à des mystères les moins fréquentés. Chaque « objet » est recadré par la photographie. Apolline Lepetit entreprend d’ouvrir l’espace clos ou oublié et de libérer une vision enfermée. Existe donc une mise en scène autour et dans l’image, afin de la sortir de ses limites passées. L’artiste crée une marge à côté du réel tel qu’il est. Y apparaissent des « trous » de lumière. Ils redessinent les formes issues de objets comme les situations. De telles propositions répondent à une vision rétinienne proche de la mémoire immédiate du réel, mais elles ressemblent autant voire plus aux phosphènes qui perturbent notre perception visuelle en un tel art singulier et hors norme.
Voire le site : L’Œil de la Femme à Barbe. Et le Facebook de l’artiste.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Un objectif précis et motivant pour ma journée. Je suis résolument nocturne et le matin est difficile pour moi, j’ai du mal à couper le fil de mes rêves, je veux toujours avoir la suite de ce « feuilleton » même si je sais que je n’en garderai aucune trace au réveil.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils ont toujours eu trait à l’art mais ils ont régulièrement évolué. Je souhaitais être écrivain, je ne pense pas m’en être totalement éloignée, seulement j’écris aujourd’hui en images plutôt qu’avec des mots; je n’exclus pas de revenir à cette première passion.
A quoi avez-vous renoncé ?
Je tâche de renoncer à mon désir de perfection, il me paralyse plus qu’il ne m’apporte.
D’où venez-vous ?
D’une famille qui m’a beaucoup apporté et toujours soutenue.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Pour le moment, rien du tout, j’ai la chance d’être libre et de pouvoir expérimenter sans rien sacrifier, c’est très enrichissant.
Comment définiriez-vous votre approche des objets (qui deviennent ceux de votre désir de les « scénariser ») ?
J’ai une approche très sensible aux objets, j’aime les observer au plus près, chercher l’angle juste, saisir les détails ; si je devais avoir un pouvoir, je rêverais de pouvoir connaître leur histoire et ce qu’ils ont traversé rien qu’en les touchant. Je suis attentive aux couleurs avant tout mais également aux matières, j’aime les objets qui ont vécu et qui portent les marques du temps : craquelures, brûlures, peinture écaillée, végétation qui surgit d’une fissure… Ce qui est neuf et lisse ne raconte pas d’histoire.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
J’aime à penser que mon regard est unique et qu’il a de la valeur. Je fais passer mon instinct, ma sensibilité et mon sens esthétique avant la maîtrise technique. Je n’ai pas attendu d’avoir les outils les plus performants et les connaissances théoriques les plus abouties pour réaliser ces images, elles gardent une part de spontanéité.
Où travaillez vous et comment?
En photographie, tout est affaire de rencontres : rencontre avec un objet, un endroit, une personne… Autrefois, j’étais plutôt en errance, à la recherche d’un objet qui capterait mon regard, j’allais partout avec mon appareil photo.
Avec mon travail sur l’art hors-les-normes, la situation est différente : l’errance devient parcours, ma mère organise notre périple et nous partons ensemble à la rencontre de ces lieux insolites et de ces personnes exceptionnelles, ce n’est plus du tout une expérience solitaire. Je tâche de garder une trace de ces lieux magnifiques qui évoluent sans cesse et disparaissent parfois, mais ce n’est pas un travail documentaire pour autant…
Quelles musiques écoutez-vous ?
Je suis assez éclectique, mais j’écoute énormément de bandes originales de films : j’aime les musiques instrumentales qui permettent à mon imagination de vagabonder, de me raconter des histoires, de ressentir des émotions fortes. J’écoute et je chante aussi beaucoup de vieilles chansons françaises, musiques de ma mère qui m’accompagnent depuis l’enfance. J’ai découvert plus tardivement mais avec délice le rock et le métal, j’aime quand il se mêle de folk… Ma plus grande révélation musicale de ces derniers mois est Heilung, c’est la première fois que j’ai pleuré pendant un concert.
Quel film vous fait pleurer ?
J’ai mis beaucoup de temps à pleurer devant les films, je trouvais même cela un peu ridicule, autrefois ! Ça m’est arrivé pour la première fois à 15 ans et depuis je pleure régulièrement devant toutes sortes de films, comme si ça avait ouvert une vanne et que je m’autorisais enfin cette émotion… J’ai aussi commencé à étudier le cinéma à cette période, j’ignore si ça a participé à développer ma sensibilité cinématographique.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
N’importe quel livre de Pierre Bottero. Cet auteur a profondément marqué mon adolescence, ces écrits m’ont accompagnée et donné de la force quand j’en avais le plus besoin, ils résonnaient profondément avec ma sensibilité. Son décès accidentel m’a bouleversée, je ne saurais pas dire à quel point, j’ai eu l’impression de perdre un soutien précieux et les livres qu’il a laissés sont en quelque sorte devenus ma béquille pour plusieurs années…
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La Bretagne, plus précisément le Finistère. C’est un endroit qui m’évoque la mer, des rochers aux formes mystérieuses, que j’associe à des souvenirs d’enfance et à des contes, comme la légende du roi Marc’h.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Du matériel technique pour réaliser des films sur les artistes dans les meilleures conditions. Je peux faire sans, je ferais mieux avec !
Que défendez-vous ?
Je suis féministe et je le revendique. Je suis sensible aux injustices et l’une de mes premières révélations à ce sujet, c’est l’absence des femmes dans mon éducation artistique : où sont les autrices, les femmes peintres, les sculptrices, les réalisatrices dans mes cours d’art, de cinéma et de littérature ? J’aime énormément les initiatives comme les Journées du Matrimoine, qui rappellent que les femmes sont créatrices, qu’elles ont pleinement participé à l’Histoire.
L’art hors-les-normes m’a aussi permis de croiser la route de femmes fortes et affirmées, dans leurs créations comme dans leurs vies.
Elles sont mon inspiration.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je trouve qu’elle condamne à voir l’amour comme quelque chose de douloureux, ça ne me convient pas, je préfère envisager l’amour comme un partage, quelque chose d’épanouissant, où l’on peut grandir ensemble… S’oublier au profit de l’autre n’est pas forcément une preuve d’amour, c’est même plutôt un bon départ pour une relation toxique.
Et celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Cette citation ne m’évoquait rien. J’ai cherché sa version anglaise… la phrase prononcée par Woody Allen la plus proche que j’ai pu trouver en anglais est « I don’t know the question, but sex is definitely the answer. » (« Je ne connais pas la question, mais le sexe est assurément la réponse »)
Si j’ai eu besoin de chercher, c’est probablement parce que je ne faisais pas confiance à Allen pour commencer… maintenant je sais que je ne fais pas confiance aux traducteurs non plus ! Je pense que je préfère les questions et les recherches aux réponses automatiques.
QUESTIONS QUI NE M’INSPIRENT DÉFINITIVEMENT PAS :
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Et votre première lecture ?
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 29 novembre 2018.