Les voies royales d’un homme libre
Le seul reproche qui peut être adressé à ce livre est son titre. Certes, il décrit une part de la trajectoire de son auteur mais ne dit rien de la tonalité de son écriture qui va au gré des courants même si tout dans ce parcours — à l’origine un peu une bohème — est ancré dans un écosystème intellectuel particulier.
L’écriture chez l’auteur commence — du moins officiellement et de manière publique — dans la chronique musicale. Avec la revue “Jazz Magazine” (référence francophone de l’époque), Zylberstein fait ses gammes à partir de celles de Bill Evans, Stan Getz et surtout de Coltrane le déconstructeur qui annonce un tournant fondamental du jazz et un rebond de la musique expérimentale qui retiendra ses lignes d’exploration.
C’est donc bien là le terreau où tout commença pour ce fils unique d’émigrés juifs survivants. Pour son livre, il choisit le parti pris des choses : à savoir, celui des petits faits vrais où jaillissent parfois des mots plus précieux qu’acadabrantesques (façon Macron) que cultive celui qui se revendique comme “coquet” mais qu’on nommera plutôt esthète et collectionneur.
Ayant pour compas magnétique Jean Paulhan. Celui qui ne se sent pas intéressant tous les jours a été sensible à l’éloge de la modestie et du retrait de l’auteur des « Fleurs de Tarbes ». Zylberstein y trouvera une protection sachant les dangers et les ennuis des médiatisations “people”.
Qu’on ne s’y trompe pas toutefois : sous l’éloge de la banalité existe une paradoxale et délicieuse mise en avant faite non d’exhibition superfétatoire mais de défense et illustration de ce qui compte à ses yeux et son intelligence. L’auteur publiera d’ailleurs la quasi totalité de l’œuvre de Paulhan en hommage à celui qui lui apprit (même s’il ne fut pas le seul) la liberté d’esprit et de l’indépendance.
Mais Paulhan apprend à Zylbestein un point essentiel : nous ne sommes pas obligé de choisir – ce qui ne répond pas forcément aux normes de l’engagement comme à ceux de la psychanalyse mais permet une aventure libre où au besoin pourrait s’affirmer que les arbres eux-mêmes ont une responsabilité dans les feux de forêts.
Cela n’empêche pas de faire preuve d’un esprit critique acéré. Et Zylberstein, pour l’exercer, est allé dans les marges des littératures méconnues : celles de Paulhan bien sûr mais pas seulement. Citons Dashiell Hammett que l’auteur sauvera dans une de ses collections majeures et qui donnèrent aux jeunes lecteurs tant d’occasions de découvertes (10/18).
Collectionneur passionné, obsessionnel des listes (celle des films vus jadis par exemple), Zylberstein est un classeur classieux — entre autres de ses 30 000 vinyls et ses 50 000 livres. Lecteur acharné, l’auteur nous permet dans ses mémoires de retrouver les grands éditeurs (avec en tête Nicole Lattès) et rappelle qu’il doit sa « théorie de mille feuilles » à Bernard de Fallois. Ce dernier a su conjuguer livres de qualité et best-sellers. Ce que le mémorialiste ne sut faire.
Délicieusement élitiste et l’assumant, celui qui fut avocat et éditeur prouve par ce non-choix les voies royales d’un homme libre. Ces deux métiers, le créateur les a pratiqués selon un principe de réparation essentiel et qui l’habite. C’est là peut-être la clé de ce livre plus qu’attachant et de l’enfant qui dut sa vie à la “pré-voyance” de ses parents.
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jean-paul gavard-perret
Jean-Claude Zylberstein, Souvenirs d’un chasseur de trésors littéraires, Editions Allary, Paris, 2018, 461 p. — 23,00 €.