Il existe toujours dans l’œuvre de Magali Ballet l’idée que la fin du monde est toujours pour demain dans nos vies minuscules. Ce qui n’enlève pas le besoin d’exister, ne serait-ce pour les autres. Dès lors, l’artiste sait habiter le territoire des ombres. Mais elle les habille de lumière. Sensible à l’étroite parenté qui relie son interrogation fondamentale à la réflexion sur l’image, elle ne fait pas de ses œuvres un “piège à regard”.
Connaissant le rapport trop étroit de l’image avec l’émotion, elle refuse que celle-ci l’emporte et refuse toute effet de décorum. L’image la plus forte devient l’image d’un rien. Mais ce rien est tout. Sans en faire ce dont Schopenhauer rêvait -“la suppression et l’anéantissement du monde” — elle donne à ce monde une valeur particulière. Il permet de parvenir à proximité d’une “disparition”, d’une ombre qui n’exprime plus rien de négatif mais dégage simplement l’exprimable pur.
S’y perçoit la voix du fond de l’abîme de l’être, le moi dissous, l’identité perdue. Bref, l’oeuvre est capable de suggérer la mise en abyme de l’être par l’absence projetée (rendre présent l’absent). C’est un travail presque impossible mais dont l’artiste poursuit le flux afin de donner forme au chaos et d’en sortir par l’ombre qu’elle explore. Rares sont les artistes susceptibles de répondre à ce souhait.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Me dire que tout peut arriver même dans nos « vies minuscules » des jours ordinaires.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Plus présents que dans l’enfance, je sais aujourd’hui que ce sont des rêves mais je peux leur donner des corps et des territoires dans les images.
A quoi avez-vous renoncé ?
A mourir pour l’instant, non, c’est une plaisanterie facile, pour éviter de dire ce qui blesse : à vivre pleinement ce que je suis, pas par renoncement pur, mais par nécessité matérielle pour ceux qui m’entourent.
D’où venez-vous ?
De deux terres qui m’ont nourri : la Provence et le Limousin.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
De l’incertitude par trop de certitudes qui se sont avérées souvent fausses, une forme de naïveté, celle des gens ordinaires, puis l’envie de ne pas leur ressembler tout à fait.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Pourquoi petit ? Nager dans les calanques avec mon masque et que plus rien n’entre dans ma tête à part ce monde-là.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je ne sais pas comment répondre sans passer pour ce que pousse à être cette question : prétentieuse… Je dirais que l’on vit dans sa constellation, éclairé de la lumière des autres. Dans ma constellation, on est des chercheurs de traces, des arpenteurs de mémoire. On apprend à voir dans l’opacité des choses et des paysages, et rien n’est plus révélateur qu’une disparition.
Comment définiriez-vous votre approche de l’ombre ?
Par ce qui s’éclaire autour. Dans l’ombre on se raccroche au palpable, c’est tâtonner…Dans une image je me dois de proposer l’errance, la chute, l’abandon, la possibilité de.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
C’est flou…(rire) , du mal à parler au singulier et à donner un ordre, mais là, je pense à la série « À ma fenêtre» de Sudek. Sinon, il y a un premier «Arrêt sur image» : la forêt et le chemin plus blanc dans la pénombre du dimanche soir, en hiver dans le Lubéron, huit ans, et refusant de partir, « et alors quoi ? si je restais là, demain je ne serais pas à l’école, et puis au bout d’un moment on m’oublierait…» Je crois que c’est la source. Je revois les silhouettes s’éloigner.
Et votre première lecture ?
“Chut …la rivière”. Livre pour enfant avec des images sous l’eau.
Quelles musiques écoutez-vous ?
La musique est essentielle dans ma vie, c’est ma plus grande joie. Debussy, Ravel, Fauré, Monteverdi, Bach, Purcell, Vivaldi… de la musique contemporaine , du jazz ‚Miles Davis, Coltrane, en passant par Brel , Nina Simone… et les Pink Floyd…et la musique indienne, tibétaine et , et, et…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne relis presque jamais de livre en entier mais les passages qui ont été extatiques : Pierre Michon, ” Vies minuscules”; Bosco, “Un rameau de la nuit” ; Julien Gracq, “Un balcon en forêt” et d’autres. De la poésie, mais ceux que j’adore relire comme un baume consolateur : jean Grosjean et Hassam Wachill.
Quel film vous fait pleurer ?
J’ai la larme facile , mais « Le salon de musique » et « Les enfants du paradis ».
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je ne me pose jamais la question. Dans le pire des cas je remets un peu de khôl et de la poudre… Si je veux être honnête, ce qui m’ennuie c’est surtout celle que je ne vois plus…
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A des tas de gens. Et je n’ose pas l’écrire ici.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La combe de l’Yeuse à Oppèdes –le –Vieux dans le Lubéron.. Les gorges de la Vienne à Bussy, commune d’Eymoutiers.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Gilbert Pastor, Musik, Stéphanie Ferrat, Odile Fix, Alexandre Hollan, Erwann Rougé, les concertos de Debussy et Ravel par Samson François, Ortiz Echague, Keichi Tahara, et d’autres …
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
En vrai ? On ne m’a jamais vraiment offert ce que je voulais, sûrement parce ce que, ce que je veux vraiment ne peut pas être un cadeau.
Que défendez-vous ?
Les enfants et leur enfance contre des adultes et leur connerie.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je n’aime pas discuter autour d’une «belle» phrase. Tout ça est futile, ce n’est qu’humain. L’amour ça se respire, non ?
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Elle me fait rire, et heureusement je ne pense à rien.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Moi j’ai envie de vous dire, c’est à vous qu’il faut vous la poser….la question !
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 18 novembre 2018.