Celle qui est nommée en Allemagne « La Droste » reste la poétesse la plus célèbre de son pays. Elle a figuré sur des billets de banque et des timbres. Elle demeure en France une inconnue. Annette von Droste-Hülshoff (1797–1848) en dépit de ses créations puissantes est écartée du cercle des romantiques de son temps : Tieck, Jean Paul, Novalis. Celan et Johannes Bobrowski ont défendu néanmoins son œuvre à la langue âpre, rêche, dense et qui ne se compromet jamais avec le romantisme classique.
L’œuvre est marquée par une liberté audacieuse qui fait place à une désolation transmise de manière insidieuse par des visions étonnantes qui flirtent avec une vie a priori idyllique mais qui ne l’est pas.
Existe là une force qui dépasse les cadres des milieux purement intellectuels. Son poème: « Le garçon dans le marais » est connu en Allemagne par des générations d’écolier. De même : « Le Hêtre du Juif », sa prose la plus célèbre, est souvent étudié dans les écoles. Il est repris ici avec un ensemble de ses textes les plus denses et les plus audacieux de l’écrivain. Leur traduction n’est pas simple – et c’est sans doute pourquoi elle est si peu connue en France.
Dans ses textes , les éléments les plus concrets nourrissent un imaginaire dans tous ses états. Ils mettent le feu au rêve comme à la vie intérieure. Une sensibilité tactile anime ici le vivant. La botanique, la minéralogie, la zoologie sont convoquées afin de présenter un monde aussi campagnard que préindustriel et minier. Entre réalité triviale et scènes de spectralité, le monde sort de l’ombre des marais dans une vision parfois gothique. La poétesse demeure étrangement inconnue dans le monde français enclin sans doute – mais à tort – de plus de rationalité.
jean-paul gavard-perret
Annette Droste-Hülshoff, Tableaux de la lande et autres poèmes, traduction de Patrick Suter & Bernard Böschenstein & texte allemand, La Dogana, Genève, 2018, 240 p. — 32,00 CHF.