Le Classique parmi les classiques du crime impossible !
Le narrateur, un avocat du nom de Sainclair, commence à raconter les aventures de Joseph Rouletabille, chose que le jeune reporter avait jusqu’alors interdit. Il entreprend, pour débuter, de dévoiler une des plus curieuses affaires policières, celle de La Chambre jaune. C’est par la lecture de la dernière édition du Temps, le 25 octobre 1892, que le narrateur a connaissance de la tentative d’assassinat de Melle Stangerson. Mais, c’est le lendemain, dans Le Matin, qu’un journaliste relate les circonstances à partir du témoignage du père Jacques qui a vécu toute la scène.
La fille du professeur Stangerson, l’éminent physicien, s’est retirée dans sa chambre, une pièce attenante au laboratoire où travaillent encore son père et son serviteur. Soudain, un énorme fracas et des cris : “À l’assassin, à l’assassin…” Deux coups de revolver retentissent. Il faut enfoncer la porte pour la trouver par terre, les vêtements de nuit ensanglantés, des marques profondes d’ongles sur le cou et un trou dans la tempe droite. Mais, elle est seule ! Personne ! Pas d’assassin !
Cette pièce n’a qu’une fenêtre grillée dont les barreaux n’ont pas été descellés et une seule porte donnant sur la pièce où se trouvait deux hommes, porte qu’il a fallu enfoncer car verrouillée de l’intérieur. Les enquêteurs ne trouveront, ni conduit de cheminée, ni passages dissimulés. Joseph Rouletabille, qui a résolu à seize ans et demi l’affaire de la femme coupée en morceaux pour L’Époque, est chargé d’éclaircir ce mystère. Il vient chercher Sainclair et ils commencent à fouiner. Si l’on peut, raisonnablement, savoir comment est entré l’assassin, comment est-il sorti ? Par où ? Et plus ils progressent, plus le mystère s’épaissit…
Faut-il revenir sur cette intrigue magistrale où tout à été dit sur son concept, sur le traitement qu’en a fait l’auteur ? Ne vaut-il pas mieux s’attarder sur la proximité entre le romancier et son héros et sur le contenu de la présente édition ?
Quand paraît le premier épisode de La Chambre jaune, le 7 septembre 1907, dans le supplément littéraire de L’Illustration, Joseph Rouletabille s’appelle Boitabille. Un hasard malheureux veut qu’un journaliste porte ce nom, ce qui amène le héros à changer de patronyme. Il exerce le métier de journaliste, comme son créateur qui l’exerça de 1894 à 1907, finissant comme grand reporter.
Si Gaston Leroux le décrit comme : “Il avait comme on dit, “une bonne balle”. Sa tête était ronde comme un boulet. Il était toujours tout rouge comme une tomate, tantôt gai comme un pinson., tantôt sérieux comme un pape. Ses cheveux frisés…”, ce portrait est assez similaire à celui que dresse une chroniqueuse judiciaire qui le fréquentait dans les couloirs des tribunaux où sa qualité d’avocat l’amenait : “C’était le plus gai des boute-en-train… ce petit bonhomme rondelet, rougeaud… à la barbe et aux cheveux frisés d’un antique…” Il débute en 1890 comme avocat, la même profession que son narrateur. Parallèlement, il rédige des échos pour L’Écho de Paris, ce qui lui met le pied à l’étrier pour le journalisme. Est-il influencé par Conan Doyle lorsqu’il fait de son héros un fumeur : «”…allume sa pipe, qui ne le quittait jamais.” ?
C’est une dispute avec Maurice Bunau-Varilla, le directeur du Matin, qui le décide à embrasser la carrière littéraire. Il avait écrit, outre des articles importants, deux pièces de théâtre, deux romans et La Double vie de Théophraste Longuet, un roman-concours pour le journal. Son premier grand roman est donc ce Mystère de la Chambre jaune publié en 12 livraisons, avec 13 illustrations hors-textes de José Simont,
Gaston Leroux raconte comme un reporter, par le biais des journaux. Il n’est cependant pas rancunier car, malgré sa brouille avec Bunau-Varilla, il met en avant Le Matin et son journaliste. La présente édition reprend les illustrations de José Simont qui figuraient pour l’édition originale et les dessins d’Édouard Loevy pour l’édition Lafitte, en volume, dès 1908.
Trois dossiers complètent le roman. Une étude sur les maîtres du “crime impossible” par Philippe Mellot, une biographie datée de Gaston Leroux du même rédacteur et une bibliographie provisoire par François San Millan. Ces dossiers sont richement illustrés.
La première étude met en lumière les principaux auteurs qui se sont livrés à l’élaboration de ces intrigues en chambre close. Elle remet à l’heure les pendules historiques, à savoir qu’Edgar Poe : “…n’est pas le premier à mettre en scène un crime impossible commis dans un local clos”. J. Sheridan Le Fanu le fait dès 1838, Balzac en 1847, Dumas en 1854. Si ce genre littéraire a été pendant longtemps l’apanage des auteurs anglo-saxons, nombre d’auteurs français ont excellé en la matière : Boileau sans Narcejac, Boileau-Narcejac, Noël Vindry, Pierre Véry…
Un petit regret : Philippe Mellot qui présente Marcel F. Lanteaume comme : “… une étincelante comète de la littérature policière française” aurait pu, au moins, mettre en illustration une couverture d’un livre de ce prodigieux auteur, effectivement.
Cette édition que l’on peut qualifier de “collector” est superbe. Retrouver la composition initiale, retrouver cette intrigue indémodable complétée de belle manière et de façon fort érudite offre un grand plaisir de lecture.
serge perraud
Gaston Leroux, Les aventures extraordinaires de Joseph Rouletabille reporter – Le Mystère de la Chambre jaune, Editions Omnibus, octobre 2018, 376 p. – 32,00 €.