Entretiens avec le professeur Y (Louis-Ferdinand Céline / Rémy Oppert)

Une hagio­gra­phie sen­ten­cieuse 

Au théâtre de Nesle, on vient en ini­tiés, comme dans un entre-soi, pour par­ta­ger un moment pri­vi­lé­gié. Le spec­tacle com­mence par une chan­son d’allure paillarde, au pro­pos cynique. Louis-Ferdinand com­mence : il parle de Gas­ton (Gal­li­mard), de ce qui l’amène à par­ler, pour une fois. Il laisse se déployer son verbe et sa verve. Du Céline dans le texte – et hors du texte : la dénon­cia­tion du théo­rique au pro­fit de l’intuitif, du sen­si­tif. Des sen­tences typiques (« La pente humaine est car­nas­sière » ; « je ne hais rien tant que les idées « ), pro­pos d’un ico­no­claste ins­piré et légè­re­ment déli­rant.
Avec son art de la géné­ra­li­sa­tion des situa­tions carac­té­ris­tiques, Céline vitu­père, iro­nise, “sen­ten­cie” à tour de phrases. Dans son hagio­gra­phie, l’auteur pré­sente posi­ti­ve­ment son style comme lyrisme émo­tif, comme fixa­tion de l’émotion dans l’écriture par le lan­gage parlé. La super­che­rie média­tique révèle nos pra­tiques sociales comme dis­trac­tion, évic­tion de l’essentiel.

La repré­sen­ta­tion est sobre, mais bien menée. On assiste à une belle inter­pré­ta­tion de Rémy Oppert, qui incarne le flegme acerbe de Céline de façon effi­cace et mimé­tique. Il est un peu dom­mage que le rôle dévolu à son inter­lo­cu­teur appa­raisse sou­vent réduit à celui de faire-valoir. Le dia­logue est en effet détourné de tout échange par les pro­fé­ra­tions lapi­daires de Céline. L’écrivain déve­loppe une méta­phore vio­lente de la créa­tion, avec la tri­via­lité ins­pi­rée qui le carac­té­rise : une dévia­tion des moyens com­muns de dépla­ce­ment (des rails) au pro­fit d’un tra­jet ori­gi­nal, fût-ce au prix d’une inten­tion ter­ro­riste.
Il construit une lec­ture sys­té­ma­tique du monde par­ta­gée entre la vul­ga­rité (le « chromo », regrou­pant les came­lots et les maque­reaux), et le génie (qui peut atteindre le « tro­gnon »). Tout concep­teur qui se nour­rit de dis­tinc­tions prin­ci­pielles radi­cales finit en doc­tri­naire sys­té­ma­ti­sant, si ce n’est en maniaque autocratique.

chris­tophe giolito

Entre­tiens avec le pro­fes­seur Y
de Louis-Ferdinand Céline

Mise en scène Rémy Oppert

Avec Jack Gal­lon et Rémy Oppert

Adap­ta­tion Jean Rou­ge­rie
Au Théâtre de Nesle
8, rue de Nesle
75006 Paris

01 46 34 61 04

http://www.theatredenesle.com/e/entretiens-professeur-y/2018–10-19/

Du 4 octobre 2018 au 28 octobre 2018

Du jeudi au samedi à 21h.
Le dimanche à 17h.

Cré­dits pho­tos ©Boris Verny

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