Jacques Vaché est enfin présent dans la totalité de ses lettres de guerre et non seulement à travers les 15 publiés par Breton. En émergent l’esprit d’avant garde pré-surréaliste et un témoignage distancié d’un artiste sans oeuvre. Il s’adresse ici tant à ses amis artistes et poète (Fraenkel, Breton, Aragon), qu’à sa marraine de guerre (Jeanne Derrien), sa famille dont “sa petite maman” à laquelle il raconte son quotidien et son père traité avec moins de commisération.
Le poète myope aux cheveux jaune paille, impeccable, fringant, chic, froid, dandy au monocle s’était “armé” ainsi pour rechercher la vie au sein de sa solitude grimée pour cacher sa souffrance en jouant des personnages. Lointain et proche, Vaché resta de fait à la dérive.
Les lettres sont complétées de dessins et les lettres les plus intéressantes sont peut-être celles à Jeanne où phrases syncopées, syntaxe bruyante et dessins griffonnés annoncent celles pour les amis poètes. Elles fascinèrent Breton qui tenta toujours de retrouver des reliques de celui qu’une overdose d’opium accidentelle emporta en 1919.
Vaché et Breton furent amis : les deux se rencontrèrent à Nantes et partagèrent le même engagement dans “l’umour” (sans h) avec le but d’investir l’avant-garde. En quelques lettres, Vaché prouve sa conscience de qui il est et de ce qu’il aurait pu faire en tant que peintre et écrivain qui rejetait néanmoins ce “boulet au pied” qu’est toute oeuvre d’art.
Ces missives drôles furent le marche-pied de Dada et un pari sur l’avenir. Elles contribuent à entretenir le mythe (parfois exagéré) d’un auteur qui rejette l’art tout en ne pouvant s’en passer. Breton fit beaucoup pour entretenir ce mythe jusqu’à transformer la mort de Vaché en suicide et non en accident à “la fourberie drôle”.
Les situationniste tout comme Stanislas Rodanski retiendront du poète le “suicidé de la société” mais ces lettres prouvent que, sous l’image, se cachent des vérités à la fois plus simples et plus compliquées.
jean-paul gavard-perret
Jacques Vaché, Lettres de guerre (1914–1918), Édition de Patrice Allain é Thomas Guillemin, Gallimard, collection Blanche, Paris, 2018, 420 p.