Jacques Vaché, Lettres de guerre (1914–1918)

L’ artiste sans oeuvre

Jacques Vaché est enfin pré­sent dans la tota­lité de ses lettres de guerre et non seule­ment à tra­vers les 15 publiés par Bre­ton. En émergent l’esprit d’avant garde pré-surréaliste et un témoi­gnage dis­tan­cié d’un artiste sans oeuvre. Il  s’adresse ici tant à ses amis artistes et poète (Fraen­kel, Bre­ton, Ara­gon), qu’à sa mar­raine de guerre (Jeanne Der­rien), sa famille dont “sa petite maman” à laquelle il raconte son quo­ti­dien et son père traité avec moins de com­mi­sé­ra­tion.
Le poète myope aux che­veux jaune paille, impec­cable, frin­gant, chic, froid, dandy au monocle s’était “armé” ainsi pour recher­cher la vie au sein de sa soli­tude gri­mée pour cacher sa souf­france en jouant des per­son­nages. Loin­tain et proche, Vaché resta de fait à la dérive.

Les lettres sont com­plé­tées de des­sins et les lettres les plus inté­res­santes sont peut-être celles à Jeanne où phrases syn­co­pées, syn­taxe bruyante et des­sins grif­fon­nés annoncent celles pour les amis poètes. Elles fas­ci­nèrent Bre­ton qui tenta tou­jours de retrou­ver des reliques de celui qu’une over­dose d’opium acci­den­telle emporta en 1919.
Vaché et Bre­ton furent amis : les deux se ren­con­trèrent à Nantes et par­ta­gèrent le même enga­ge­ment dans “l’umour” (sans h) avec le but d’investir l’avant-garde. En quelques lettres, Vaché prouve sa conscience de qui il est et de ce qu’il aurait pu faire en tant que peintre et écri­vain qui reje­tait néan­moins ce “bou­let au pied” qu’est toute oeuvre d’art.

Ces mis­sives drôles furent le marche-pied de Dada et un pari sur l’avenir. Elles contri­buent à entre­te­nir le mythe (par­fois exa­géré) d’un auteur qui rejette l’art tout en ne pou­vant s’en pas­ser. Bre­ton fit beau­coup pour entre­te­nir ce mythe jusqu’à trans­for­mer la mort de Vaché en sui­cide et non en acci­dent à “la four­be­rie drôle”.
Les situa­tion­niste tout comme Sta­nis­las Rodanski retien­dront du poète le “sui­cidé de la société” mais ces lettres prouvent que, sous l’image, se cachent des véri­tés à la fois plus simples et plus compliquées.

jean-paul gavard-perret

Jacques Vaché, Lettres de guerre (1914–1918), Édi­tion de Patrice Allain é Tho­mas Guille­min, Gal­li­mard, collec­tion Blanche,  Paris, 2018, 420 p.

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