Jérôme Bertin offre ici un grand petit roman qui aurait ravi Gogol. Ce livre à l’humour glougloutant est tout sauf dégoûtant. L’auteur a l’intelligence de s’arrêter juste avant. L’auteur– comme son héros — possède “un bas de laine rempli d’aspics” mais cela devient un nœud de vipères que trimballe le pauvre hère — enfin presque — rempli de “neuroleptiques et leur venin”.
Le narrateur est en effet un enfermé volontaire et dans l’estuaire de la vie du schizophrène rien n’arrête, même pas ses freins. Il ne les ronge pas même si ses piranhas pourraient lui venir en aide. De toute façon, l’atrabilaire ne s’en soucie guère : des femmes lui font sa fête. Sa préférée est un peu replète et l’autre qu’il lutine est “moulée dans une robe jaune délicieusement fleurie de tête de mort”. Mais le sacripant doit parfois prendre sur lui pour s’arracher à son propre lit et jouer le coucou dans celui d’une servante au grand cœur dont il est peu jaloux..
Le bretteur en pince moins pour ses conquêtes que pour L.-F. Céline et Bukowski. C’est presque une déformation professionnelle. Mais le héros se fait soigner : son thérapeute est aussi fou que lui, ce qui est plutôt bon signe. Et tandis que la nuit tombe, la vie suit son cours. “Sans croix, ni lois” le “cas” d’X voyage en “première crasse”. Mais celui qui est pris pour un éructeur reste un sacré farceur.
Et Bertin se démène pour rendre sympathique son semblable, son frère, son double famélique. Il y réussit parfaitement. Celui qui feint de rester couché comme un sac de farine nous roule dedans. L’auteur en devient sa boulange. Et d’un tel pétrin sortent — entre autres — de belles miches. Dans ses interstices et en le divisant, le démon s’envoie au paradis dès que son barda mue (en l’honneur de Louis Ferdinand).
jean-paul gavard-perret
Jérôme Bertin, Cas Soc’, Editions Vanloo, Aix en Provence, 2018, 70 p. — 12,00 €.