Thom Yorke pour la première fois a accepté de créer la bande originale d’un film. Le remake du film d’horreur d’Asia Argento par Luca Gaudadigno. Le film est nul pour certains, assez beau pour d’autres. Yorke de toute façon le sauvera. Car si en solo il est apparu parfois plus décevant qu’avec son groupe mythique et peut-être indépassable (Radiohead), il se laisse aller ici à diverses dérives que sans doute le film imposait.
Apparemment, il se sent bien dans l’épouvante – ce qui ne nous étonnera pas. Qu’il soit seul au piano ou entouré d’une armada instrumentale, sa « patte » est là au milieu de bruits inquiétants qui perturbent les mélodies ou les soulignent à dessein. Forcément nous nous laissons emporter. Il existe des chansons sublimes comme Yorke n’en avait pas écrites et interprétées depuis longtemps. Preuve que la sorcellerie du film lui va et ce, jusqu’à un morceau final de 15 minutes bourrée d’émotion.
L’atmosphère est lourde mais jamais pesante. La musique est sereine en dépit du contexte. On pense parfois à Sakamoto au moment où Thom Yorke semble se libérer — peut-être de la mort de son ex-compagne, Rachal Owen. En tout état de cause, l’artiste réussit des explorations plus mélodiques (façon RadioHead des débuts) qu’expérimentales.
Les ballades reviennent. Et fan du groupe italien (“Goblin”) qui avait créée la BO du film original d’horreur, l’auteur dans sa mouvance propose un album radieux ponctué par trois chansons où sa voix produit toujours la même magie.
Le créateur n’a donc rien d’un artiste générationnel. Son album est une réussite parfaite. Celui qui sait faire peur sait aussi émouvoir. Il joue des codes de l’horreur afin que Satan rampe et lorgne vers le paradis de mineuress en majeures, et vice versa, pour innerver un monde angoissant et lumineux, criard et doux.
Les sensations sont là. Mais que ceux qui n’aiment pas Radiohead bien sûr s’abstiennent.
jean-paul gavard-perret
Thom Yorke, Suspiria, label XL Recordings, 2018