Chloé Esposito, Mad

Un thril­ler par­ti­cu­liè­re­ment déjanté 

Eliza­beth – Beth – et Alvina – Alvie –Knightly – sont des jumelles mono­zy­gotes. Le zygote de Beth s’est divisé. Alvie est alors appa­rue. Mais, autant Beth est lumi­neuse, autant Alvie est sombre, obs­cure. L’une semble tout réus­sir alors que l’autre rate tout avec une belle constance. L’histoire débute le 24 août 2015 par un cour­riel envoyé par Beth à sa sœur. Celle-ci réitère son invi­ta­tion à venir chez elle, à Taor­mine. Elle a besoin d’elle mais ne peut don­ner d’explications par mail. Dans un pre­mier temps Alvie s’abstient de répondre ayant de pro­fonds dif­fé­rends avec sa jumelle, dif­fé­rends nour­ris de jalou­sie, d’envie, de res­sen­ti­ments et quelques autres sen­ti­ments tous plus affreux les uns que les autres.
Face à l’insistance de Beth, et devant les nom­breux pro­blèmes aux­quels elle est confron­tée : elle perd son emploi, sa colo­ca­tion… elle se décide à répondre favo­ra­ble­ment. C’est alors la décou­verte d’une extra­or­di­naire réus­site, une magni­fique villa avec une grande pis­cine, une garde-robe fas­tueuse, des bijoux à foi­son, un ravis­sant bébé… Lorsque Beth lui dit : “Demain, j’aimerais que tu deviennes moi pen­dant quelques heures. Tu vou­dras bien ?” Alvie ne com­prend pas. Der­rière cette vie de rêve que se passe-t-il ? La nuit, Alvie entend des cris et des pleurs qu’elle recon­naît être ceux de sa sœur. Pour­quoi a-t-elle des héma­tomes sur les bras ? Est-elle vrai­ment, comme elle le dit, tom­bée de l’échelle en cueillant des fruits ?

Avec ces deux sœurs, l’auteur part du prin­cipe que deux jumelles n’ont pas de lien indé­fec­tible, qu’il n’existe pas de connexion psy­chique. Au contraire, elle ima­gine une rela­tion amour-haine, Beth ayant la par­tie amour et Alvie, la par­tie haine. Si Beth a suivi de belles études, fait un mer­veilleux mariage avec un homme beau comme un dieu — com­ment, d’ailleurs, peut-on savoir si un dieu est beau. Dans la Bible, il a fait l’Homme à son image ? -, vit dans le luxe, Alvie traîne une suite inin­ter­rom­pue de ratés. Ses études sont mini­ma­listes, son tra­vail l’excède, les larves avec qui elle coha­bite lui pour­rissent la vie. Elle a fait une fausse-couche et sa vie amou­reuse et sexuelle tourne autour de Mr Dick, un vibro­mas­seur haut de gamme de vingt-huit cen­ti­mètres.
Mais, der­rière l’existence enviable de Beth, il existe une face noire dans laquelle l’héroïne va plon­ger la tête la pre­mière. Et Chloé Espo­sito concocte une intrigue par­ti­cu­liè­re­ment réus­sie. Elle par­tage son livre en sept par­ties, en sept jours, cha­cun por­tant en inti­tulé le nom de ce que la reli­gion catho­lique qua­li­fie de péchés capi­taux, ces actes et sen­ti­ments qui sont la racine des autres péchés.

Outre la ten­sion qu’elle sait faire croître au fur et à mesure de la des­cente aux enfers d’Alvie, elle raconte avec un ton léger, presque badin, les choses affreuses qui lui arrivent. La roman­cière met beau­coup d’humour tant dans les situa­tions que dans les pro­pos tenus par ses per­son­nages. Elle crée une gale­rie riche en pro­ta­go­nistes attrac­tifs pour divers rai­sons, pas tou­jours les plus belles. L’auteure livre, au cours du récit les dif­fé­rentes rai­sons du res­sen­ti­ment que la seconde éprouve vis-à-vis de sa sœur, comme son absence d’amour de la part de sa mère, les cadeaux de Noël…
Elle signe quelques scènes éro­tiques tor­rides qui mettent Alvie dans un état eupho­rique. Mais, elle intro­duit nombre de remarques, des images par­lantes comme : “Les gonds couinent comme un cochon à l’agonie.” ou “Si l’appât du gain est à l’origine de toute réus­site finan­cière, com­ment se fait-il que je sois si fau­chée ?” Elle colle à l’actualité se deman­dant si Donald Trump et Boris John­son ne sont pas des jumeaux sépa­rés à la naissance…

Un livre mar­quant par le ton, par la qua­lité des héroïnes, des per­son­nages qui les entourent et par l’humour qui se dégage constam­ment de ce récit. Avec ce pre­mier roman, Chloé Espo­sito fait une entrée remar­quée en lit­té­ra­ture avec ce thril­ler déjanté.

lire notre cri­tique de Bad, de la même auteure

serge per­raud

Chloé Espo­sito, Mad (Mad), tra­duit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Laura Contar­tese, fleuve Édi­tions, coll. “Noir”, juin 2018, 480 p. – 20,90 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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